55. Evrard

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— Et si nous visitions la ville pour passer le temps ? proposa Catriona.

— Je ne préfèrerais pas, objecta Evrard. Je serais plus tranquille si nous restions dans la taverne. Au moins, je peux voir si on nous épie, ce qui n'est pas le cas dans une foule dense.

La jeune noble fit une moue dubitative mais n'insista pas. Depuis le temps qu'ils se côtoyaient, elle avait compris qu'il avait un besoin viscéral de contrôler son environnement. Ils s'installèrent donc à l'une des tables les plus proches de la cheminée, et le Chevalier prit soin de s'assoir de sorte que son regard puisse embrasser toute la salle et ses occupants. 

Le tavernier s'approcha d'eux d'un pas traînant.

— Ces nobles Dames et Seigneur souhaitent manger quelque chose ?

— J'ai pas faim, rétorqua Evrard sans même lui accorder un regard.

— Ne soyez pas ridicule, protesta Catriona. Oui, nous allons manger.

— Vous avez de quoi payer vos consommations ? rétorqua l'aubergiste d'un ton grincheux.

— Tenez, déclara-t-elle en donnant au tenancier une de ses dernières bagues, ornée d'une minuscule pierre précieuse. Je pense que ce sera bien assez pour nous offrir un repas copieux, n'est-ce pas ?

Bien que son ton soit courtois, le regard glacial qu'elle lui lança ne laissait aucun doute sur l'agacement qu'elle ressentait. L'homme prit le bijou avec une cupidité non dissimulée dans les yeux.

— A ce prix-là, je vais vous faire préparer un festin digne de la Cour, assura-t-il d'un ton mielleux. Vous avez de beaux bijoux...très élégante, votre chevalière.

Il leur adressa un sourire sardonique avant de tourner les talons jusqu'au comptoir, sous le regard noir d'Evrard.

— Je ne l'aime pas, commenta-t-il.

— Moi non plus, soupira la jeune femme. Mais s'il nous donne de quoi nous restaurer et dormir sans danger...

L'aubergiste était peut-être un butor, mais au moins connaissait-il le prix des choses. En échange de la bague, il leur servi un ragout, du pain, un morceau de fromage, une cruche de vin épicé et puissant, ainsi que quelques pâtisseries. Ravie, Catriona leva son verre :

— Trinquons à notre périple qui s'achève bientôt, sourit-elle.

— A la vôtre, rétorqua-t-il mollement en l'imitant.

Le vin coulait avec délice dans sa gorge. Cela faisait longtemps qu'il n'avait plus dégusté une si bonne cuvée. Pourtant, le cœur n'y était pas. Il avait eu le temps de réfléchir à ce qu'il allait faire. De ce qu'il devait faire. Et cela allait avoir des répercussions, il le savait.

— Je me réjouis de retourner en Ecosse, poursuivit-elle d'un ton léger, sans remarquer son trouble. J'ai hâte de revoir mon domaine.

— Bien sûr, après tout ce temps, opina-t-il distraitement.

— J'ai si hâte de vous le faire visiter ! Vous ne pourrez qu'adorer les paysages écossais ; ils ne ressemblent en rien à ceux qu'on a traversé durant notre voyage. Tout y est plus vaste, plus sauvage. Vous connaissant, je suis certaine que vous sauterez sur la première occasion pour les parcourir.  

Il arqua un sourcil.

— Pourquoi devrais-je l'adorer, puisque je ne compte pas rester ?

Ses paroles avaient jailli sans qu'il puisse les retenir, et eurent l'effet d'un seau d'eau glacé jeté en pleine figure. Un silence oppressant s'abattit soudain sur eux.

Bandit HeartOù les histoires vivent. Découvrez maintenant