57. Evrard

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Ils se levèrent de bonne heure pour se rendre sur le port où le capitaine du Petit Jean les attendait pour appareiller. Tandis qu'ils se préparaient, aucun des deux n'échangèrent un mot. Evrard fut soulagé de quitter l'auberge et de sentir le vent océanique lui fouetter le visage.

Le Chevalier était d'humeur morose. Une fois de plus, il avait partagé un instant sensuel et intense avec Catriona, qui s'était finalement soldé par une déconvenue cuisante. Une fois de plus, peut-être une fois de trop. Il se demandait s'il parviendrait à supporter cette situation encore longtemps. La seule évidence qui s'offrait à lui, c'était que Catriona n'était toujours pas prête à s'offrir à lui, quelles que soient ses avances. Ou des sentiments qu'elle prétendait éprouver pour lui.

Repenser à la nuit dernière le plongea dans l'aigreur et l'exaspération. Combien de fois allait-il encore accepter qu'elle lui demande de rester auprès d'elle, qu'elle l'embrasse, qu'elle l'incite à la caresser, pour ensuite le repousser ?

« Vivement que ce maudit voyage se termine » pesta-t-il intérieurement.

Catriona marchait à côté de lui, les yeux baissés sur ses pieds, empruntée. Elle devait sentir les idées noires qui le tourmentaient et n'osait pas lui demander de les partager. Il lui en fut reconnaissant, car il ne pensait pas qu'il parviendrait à mesurer l'amertume dans ses paroles, et il n'avait pas envie de perdre son temps avec ce genre de discussions. Son seul souhait était d'embarquer à bord du bateau et de quitter le pays.

En relevant la tête pour regarder le port, il se figea soudain. A une vingtaine de mètres de lui, entre les allées et venues des passants, Gauthier lui faisait face. Même de là où il se tenait, Evrard pouvait distinguer son visage empli de haine braqué sur lui.

— Mordiable! jura-t-il.

Catriona, qui n'avait pas encore remarqué la présence de Gauthier, lui lança un coup d'œil inquiet avant de suivre son regard. Elle s'immobilisa à son tour, les yeux écarquillés.

— Mon Dieu ! s'exclama-t-elle, horrifiée. Que fait-il ici ?

— A votre avis ? rétorqua-t-il froidement.

Réagissant d'instinct, il lui prit la main et fit demi-tour. Mais à peine eurent-ils le temps de faire quelques pas que trois silhouettes surgirent devant eux, leur bloquant le passage. Le Chevalier reconnu aussitôt les trois marauds qui l'épiaient depuis le comptoir de l'auberge. D'un même mouvement, Gauthier et les trois hommes bondirent dans leur direction.

— Courrez ! ordonna-t-il en entraînant la jeune femme dans une ruelle adjacente.

Courant à toutes jambes, ils bifurquèrent précipitamment dans une seconde ruelle ombragée et sinueuse, zigzaguèrent habilement entre les habitants qui les regardaient passer avec des airs abasourdis, évitèrent une bande d'ivrognes en train de décuver, et faillirent piétiner un troupeau d'oies jacassantes sous les insultes de leur gardien. 

Ils s'enfoncèrent toujours plus profondément dans les bas-fonds de Dunkerque, là où même les gardes ne s'aventuraient pas. Ils ne croisèrent plus âme qui vive dans les rues obscures. Lorsqu'ils parvinrent à un croisement et qu'il regarda par-dessus son épaule, Evrard s'aperçut qu'ils avaient semé leurs poursuivants. Pour un temps. Il ne savait rien des trois larrons, mais il connaissait suffisamment bien Gauthier pour savoir qu'il n'allait pas tarder à leur mettre la main dessus. Avisant le ciel bleu et le haut d'un mât qui se découpaient tout au bout de l'une des rues, il se tourna vers la jeune femme :

— Ecoutez-moi, intima-t-il. Courrez le plus vite possible en direction du port et montez sur le bateau. Si je ne suis pas là avant qu'il largue les amarres, ne m'attendez pas.

Bandit HeartOù les histoires vivent. Découvrez maintenant