45. Evrard

440 48 5
                                    

Evrard avait dû tourner en rond dans la chapelle une bonne cinquantaine de fois. S'il continuait ainsi, il aurait le tournis.

Ses pas faisaient voler l'épaisse couche de poussière accumulée sur les dalles en pierre. Dans son dos, un pigeon s'enfuit dans un battement d'aile par l'un des vitraux brisés. Les bancs en bois et le confessionnal avaient depuis longtemps disparus, mais l'autel était resté intact, bien que dépourvu de ses objets liturgiques.

Parvenir jusqu'à la chapelle et y entrer n'avait pas posé trop de problèmes pour le Chevalier. Il avait suivi les indications de Néline pour éviter les gardes patrouillant dans le parc, escaladé le mur d'enceinte et s'était laissé glisser de l'autre côté. Zigzagant entre les arbres, il avait longtemps marché pour retrouver le lieu de culte. Ce fut un pâle rayon de lune qui lui indiqua son toit, alors qu'il parvenait au sommet d'une petite bute.

La sainte croix accrochée au-dessus du portail avait tenu le coup, mais une bonne partie de la charpente s'était effondrée. Le lierre avait pris possession de tout un pan du mur et presque toutes les fenêtres étaient cassées. Le bois de la porte était si vermoulu qu'Evrard n'eut qu'à y donner un coup d'épaule pour l'ouvrir. Lorsque le jour se leva, la lumière filtrait à peine à travers les vitraux poussiéreux, déposant à ses pieds de minuscules tâches ternes de couleur jaune, rouge et vert.

Le Chevalier s'assit au pied de l'autel et réprima un long bâillement. Les derniers événements le taraudaient tant qu'il n'avait pratiquement pas pu fermer l'œil. L'épuisement lui avait permis de se reposer une heure ou deux, mais l'inquiétude était brusquement venue le réveiller et le poussait à se maintenir en mouvement.

A cette heure, Gauthier avait dû remarquer son absence. Son frère aîné devait être dans une fureur telle que s'il le retrouvait, il ne s'encombrerait pas d'une exécution en bonne et due forme et le transpercerait de son épée sur le champ. Mais ce n'était pas pour lui-même qu'Evrard s'inquiétait vraiment.

Il ne pouvait s'empêcher de penser à Catriona et Néline. Pour l'instant, il n'y avait aucune raison pour que Gauthier s'en prenne à la jeune noble. Mais il n'allait pas ignorer longtemps le rôle qu'avait joué son épouse dans son évasion. Si Néline lui avait certifié que son statut de femme enceinte lui garantissait sa sécurité, Evrard n'était pas aussi catégorique, surtout connaissant l'homme avec qui elle partageait le lit.

Il regarda par l'une des fenêtres pour tenter d'apercevoir un mouvement entre les arbres. Catriona n'était toujours pas là. Cela commençait à faire long, même s'il ne savait pas en quoi consistait le plan de Néline pour la faire sortir de là.

« Si cela se trouve, cela fait une heure qu'elle est libre, mais elle s'est perdue en chemin » railla la petite voix au fond de sa tête. Dans d'autres circonstances, cette taquinerie l'aurait fait rire. Mais elle ne lui arracha pas même un sourire.

— Si elle n'arrive pas dans l'heure, je retourne la chercher, décida-t-il entre ses dents.

Tant pis pour Gauthier et Rodolphe, il les affronterait.

Il scruta à nouveaux les alentours. Les oiseaux chantaient dans les branches et les buissons, ce qui était plutôt une bonne nouvelle ; les animaux se taisaient et disparaissaient à l'approche du danger, il n'y avait donc pas de gardes armés tout près.

Néline n'avait pas mentit en affirmant que personne ne penserait à venir le chercher ici.

Alors qu'il allait se détourner de la fenêtre, quelque chose entra furtivement dans son champ de vision. Par réflexe, Evrard porta aussitôt la main sur le pommeau de son épée. Il plissa les yeux et distingua un étrange nuage à travers le feuillage de la forêt. Il lui fallut quelques secondes pour se rendre compte qu'il s'agissait en réalité de fumée. Grise et dense, s'élevant de plus en plus dans le ciel.

Bandit HeartOù les histoires vivent. Découvrez maintenant