Assis sur les marches du grand escalier, Evrard suivit les allées et venues des domestiques d'un œil attentif. Il aimait observer ces ballets incessants à travers les pièces et les couloirs, chacune et chacun occupé à nettoyer, astiquer, ranger, ajuster, pour que le maître de maison n'ait d'autre souci que de profiter de son temps et de ses invités.
Le Chevalier se demandait comment il allait pouvoir coordonner une telle équipe avec autant d'efficacité lorsqu'il serait à Loveday Hall. Certes, Catriona serait présente et ce sera à elle que reviendra la gestion de la maison, mais s'il voulait lui apporter son aide, il devrait se montrer comme une figure d'autorité qui savait à quoi il avait affaire.
Ce qui était bien loin d'être son cas. Au château des De Ferrand, il n'avait jamais donné d'ordres aux domestiques car son rôle de fils cadet ne lui conférait aucune autorité. C'était son père, puis Gauthier à la mort de ce dernier, qui avaient supervisés le bon entretien de la bâtisse et de ses alentours. Il manquait donc cruellement de pratique. Et la barrière de la langue était une difficulté supplémentaire dont il se serait bien passé.
S'il comptait rester, il allait devoir fournir des efforts.
Evrard se releva et emprunta un long couloir qui menait, l'espérait-il, à la bibliothèque. Un homme aussi cultivé que Lord Byron en possédait forcément une et il y trouverait toutes les connaissances nécessaires pour appréhender son intégration à la noblesse écossaise.
Tandis qu'il arpentait le château, un enfant fuligineux sorti d'une chambre. Il avait une douzaine d'années, les cheveux blonds en bataille, le visage constellé de taches de rousseur et transportait un seau rempli de cendres. Lorsqu'il l'aperçu, le gamin se pinça les lèvres avec appréhension mais vint à sa rencontre d'un pas déterminé. Evrard arqua un sourcil, intrigué et ralentit l'allure.
Arrivé à sa hauteur, le garçon fit soudain un étrange mouvement. Il se courba en avant en balançant le seau devant lui. Sans qu'il puisse l'éviter, Evrard fut assailli par un nuage âcre de suie et de charbon qui lui piqua la gorge et noirci son pantalon et ses bottes.
Devant lui, le gamin le dévisageait avec un mélange d'horreur et de résignation. Il bredouilla quelques mots en gaëlique et tenta de s'enfuir, mais le Chevalier lui attrapa vivement l'épaule. Sans doute trop brutalement, car l'enfant leva aussitôt les bras devant son visage, terrifié.
— Doucement ! asséna-t-il. Je ne vais pas te frapper.
Se rappelant que ce gamin ne pouvait pas comprendre le français, il le relâcha et recula d'un pas pour lui prouver ses bonnes intentions. Il baissa les bras mais continuait de trembler, le regard rivé sur ses sabots. Evrard se gratta la nuque, poussa un long soupir perplexe et s'agenouilla pour se mettre à sa hauteur.
— Pourquoi est-ce que tu as fait cela ? demanda-t-il d'une voix douce, tout en sachant qu'il était peu probable qu'il en tire quoi que ce soit. Tu as fait exprès, n'est-ce pas ? Pourtant, tu n'as pas l'air d'être un vaurien...
L'enfant risqua un coup d'œil mais n'osa pas soutenir son regard. Le seau de cendres tremblait entre ses mains.
— C'est un mauvais tour que tu as décidé de faire avec tes amis ? persévéra-t-il toutefois, sans se défaire de son calme. Tu as perdu un défi ? Ou alors...
Il sortit de sa bourse une petite pièce qu'il leva devant ses yeux ébahis et fascinés.
— Tu as été payé, n'est-ce pas ? conclu Evrard.
Le Chevalier la lui donna. L'enfant hésita quelques secondes avant de tendre la main et de la cacher au fond de sa poche, de laquelle il entendit le tintement d'autres pièces.
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Bandit Heart
Historical FictionAlors que l'avenir de la jeune Catriona Loveday est tracé, celui d'Evrard le Gall, ancien Chevalier sans le sou, est plus qu'incertain. Mais dès l'instant où la noble se retrouve entre les griffes de deux brutes, Evrard n'hésite pas à la secourir, a...