63. Evrard

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Evrard retourna une fois de plus à l'extérieur pour prendre l'air. Il n'avait pas l'habitude de boire autant d'hydromel et cet alcool brouillait ses sens plus rapidement que le vin ou la bière. Il se tapota le front pour se remettre les idées au clair. Dans quelques heures, il allait devoir embarquer à bord du Petit Jean et le capitaine serait certainement mécontent s'il passait toute la traversée à vomir par-dessus le bastingage plutôt que d'effectuer ses tâches.

Le Chevalier observa la rue en se disant qu'il était peut-être préférable qu'il fasse un tour en ville pour passer le temps, plutôt que de rester assis dans une salle bondée à s'enivrer. Mais à l'instant où il se décida de retourner vers le port, un nom lui parvint à l'oreille, faible mais distinct.

Loveday.

Il manqua de pousser un juron. Encore elle ! Même absente, Catriona ne cessait de le tourmenter. Cela commençait à bien faire. En jetant un coup d'œil par-dessus son épaule, Evrard aperçut deux hommes discuter entre eux à voix basse.

Tout en eux le rendait suspicieux ; leurs vêtements sales et poussiéreux, leurs armes de belle facture qu'ils tentaient discrètement de cacher sous leurs capes de voyages et leurs silences brusques lorsque quelqu'un s'approchait trop près d'eux. Qui qu'ils puissent être, ils n'avaient certainement pas de bonnes attentions.

Pris d'une inspiration soudaine, Evrard s'approcha en imitant la démarche mal assurée d'un ivrogne. Comme il le pensait, les deux hommes s'interrompirent aussitôt et l'observèrent en plissant des yeux, soupçonneux. Mais lorsqu'ils le virent s'affaler en jurant contre le mur et tenter maladroitement de défaire sa ceinture et son pantalon pour se soulager, ils l'ignorèrent et reprirent leur aparté, jugeant qu'ils n'avaient rien à craindre d'un soûlard.

Cependant, le Chevalier tendait l'oreille avec beaucoup d'attention. Son esprit était redevenu clair, son instinct l'avertissait d'une menace. Il ne comprenait pas le gaélique, mais il était bien décidé à découvrir ce qu'il se tramait avec Catriona.

Ce n'était pas facile de suivre ce qu'ils se racontaient. Les mots étaient mâchés dans un débit très rapide. Une fois de plus, le nom de Loveday fut prononcé. Puis ce fut celui de Byron qui lui parvint. Evrard fronça légèrement les sourcils, se demandant pourquoi l'homme de confiance du père de Catriona apparaissait ainsi dans la conversation. Il lui sembla discerner ensuite, avec beaucoup de difficulté, un mot qui ressemblait à « murt ».

Son cerveau réfléchissait frénétiquement. Murt...murd...murder...En anglais, cela signifiait meurtre. Les deux mots se ressemblaient beaucoup phonétiquement...Était-ce cela ? En même temps, au vu de l'accoutrement de ces énergumènes, ils n'étaient pas du genre à déguster du thé dans un salon en noble compagnie.

La seule conclusion qui lui vint en tête était que Catriona avait de sérieux ennuis. Une fois de plus. Même dans son propre pays, des ennemis la traquaient pour l'assassiner. Elle gênait visiblement beaucoup de monde...A moins que ce ne soit toujours le même commanditaire retors qui la pourchassait.

Les deux conspirationnistes finirent par se séparer et chacun disparu dans la foule. Evrard mit fin à sa comédie et remit prestement ses habits en ordre, pensif. Malgré toute la rancœur qu'il nourrissait pour elle, il n'avait pas la conscience tranquille. Ne s'était-il pas juré de la protéger ? Il faillirait à sa parole s'il ne tentait pas de l'avertir du danger. Il demeurait un homme d'honneur.

Ayant pris sa décision, il retourna dans la taverne et se précipita à la table où ses compagnons s'abreuvaient toujours.

— Par où faut-il aller pour rejoindre Stirling ? demanda-t-il d'un ton abrupt.

Une dizaine de paires d'yeux le contemplèrent, ahuris.

— Stirling ? répéta un premier, sans comprendre. Pourquoi veux-tu...

Bandit HeartOù les histoires vivent. Découvrez maintenant