37. Evrard

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Au cours des deux jours qui suivirent, Evrard et Catriona n'échangèrent pratiquement aucun mot. Ils se contentaient de suivre les routes, toujours en direction du nord. Plus ils avalaient les lieues, plus l'inquiétude du Chevalier grandissait.

Ils s'approchaient dangereusement de la Normandie. Si cela n'avait tenu qu'à lui, ils se seraient éloignés vers l'ouest, mais le détour leur aurait fait perdre plusieurs jours d'avance sur ceux qui les talonnaient. Evrard ne pouvait donc que poursuivre l'itinéraire comme convenu, en priant pour que ses ennemis n'apprennent jamais qu'il soit revenu.

Les retrouvailles risqueraient de tourner au massacre.

Les deux compagnons arrivèrent à un croisement. L'une des routes formait un coude et s'enfonçait à nouveau dans la forêt, la seconde se profilait à travers champs jusqu'aux contours d'une ville, dont les murs d'enceinte et les toits se découpaient à l'horizon.

Le Chevalier guida le cheval pour qu'il prenne la première, mais dans son dos, Catriona l'interpella :

— Quel est ce lieu ? demanda-t-elle en désignant la cité du doigt.

— Chartres, répondit-il en y jetant un rapide coup d'œil. Une ville à l'économie florissante.

— Vous y êtes déjà allé ?

— Plusieurs fois, jadis.

La jeune noble resta pensive quelques instants, et ce qu'Evrard redoutait arriva.

— Allons-y, décida-t-elle.

— C'est hors de question ! la rabroua-t-il sèchement par-dessus son épaule. Je croyais vous avoir dit qu'il nous fallait rester discrets et éviter les auberges ?

— Mais nous serons dans la foule, objecta-t-elle en levant les yeux au ciel. Personne ne fera attention à notre présence.

— Oui, exceptés ceux qui nous pourchassent, ironisa-t-il. Catriona, pour une fois dans votre vie, soyez raisonnable ; nous sommes aux portes de la Normandie, les espions de nos ennemis sont partout. Nous ne pouvons pas flâner dans les rues comme si de rien n'était !

— Vous voyez du danger en tout lieu, même là où il n'y en pas. Je ne compte pas y faire d'esclandre, mais simplement me reposer quelques instants et prendre un bain chaud. De plus, nos vivres se raréfient.

— Vous n'avez qu'à vous baigner dans une rivière. Et je sais attraper des lapins.

— Et moi je rêve d'un plat mijoté un peu plus raffiné.

Cette fois, il se retourna sur la selle, manquant de perdre l'équilibre.

— Qu'est-ce que vous reprochez à mes pitances ? s'offusqua-t-il.

— Qu'elles manquent justement de raffinement. Et cela fait quatre jours que vous n'avez plus bu une goutte d'alcool, le manque doit se faire ressentir, non ? le taquina-t-elle.

— Et c'est vous qui comptez payer ma chope de bière ? maugréa-t-il avec humeur.

— Si cela peut vous convaincre, je suis prête à vous en payer deux.

Evrard la foudroya du regard en se mâchant la langue durant de longues secondes. Catriona le soutint sereinement, imperturbable.   

— Mordiable ! jura-t-il. C'est bon, on y va !

— Je vous remercie, sourit-elle en lui serrant le torse en guise de gratitude.

Il fit faire demi-tour à leur cheval et le lança au trot, pestant contre sa faiblesse et la ruse de la jeune femme. 

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