67. Evrard

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Au petit matin, ce fut le martèlement des sabots qui tira Evrard de sa torpeur. Il ne les distingua pas immédiatement, trop occupé à étouffer un long bâillement après la pénible nuit qu'il avait enduré.

Avant que l'obscurité ne tombe, Evrard s'était occupé des cadavres du cocher et du serviteur et les avaient déplacés un peu plus loin en espérant qu'aucune meute de loups ne soit attirée par leur odeur. Il n'avait malheureusement rien pour leur creuser une tombe ou pour les couvrir. Et il ne voulait pas les jeter dans le fleuve comme avec le cheval de tire, dont il avait coupé les liens qui le rattachait encore au carrosse en espérant que le courant soit assez puissant pour l'emporter.

Durant toute la nuit, il avait veillé sur Catriona comme une louve couvant sa portée, s'assurant que le vent froid ne l'atteigne pas à travers les couvertures et que le feu continue de brûler pour la réchauffer. Son épée était restée hors de son fourreau tout du long, prête à servir à la première occasion. Ne connaissant pas le pays et sa faune, le Chevalier s'était préparé à toutes les éventualités, de l'inoffensif mendiant jusqu'à l'ours déchaîné, en passant par la bande de brigands. Une fois de plus, il n'avait pas eu l'occasion de dormir, les sens trop en éveil.

Le soleil venait à peine de se lever, teintant le ciel de rose et de jaune. Une légère brume rampait sur la bruyère et l'herbe s'humidifiait de rosée. En tendant l'oreille, le Chevalier constata que le bruit provenant de la route non loin de là se rapprochait. Tout comme lui, le voyageur verrait sans doute les traces de roues dans la boue et les suivrait pour s'assurer que tout allait bien.

Il se redressa, raffermissant sa prise sur son épée. Il ne souhaitait pas attaquer le premier voyageur venu, mais son instinct lui préconisait de rester prudent. Quelques minutes plus tard, un cavalier apparut de derrière la rangée de noisetiers, les yeux rivés sur les empruntes du carrosse, les sourcils froncés. Il lui fallut quelques secondes avant de remarquer la présence d'Evrard et il immobilisa sa monture lorsqu'il l'aperçu.

Pendant quelques secondes, les deux hommes s'observèrent, tendus. D'une voix autoritaire, le cavalier s'adressa à lui, mais le Chevalier ne comprenait toujours pas le gaëlique.

— Navré l'ami, le coupa-t-il sèchement. Mais je ne parle pas ta langue.

L'homme referma la bouche, déconcerté.

— Frangach ? demanda-t-il d'un ton méfiant en tirant son épée hors de sa ceinture.

Evrard leva aussitôt la sienne.

— C'est une insulte ou un signe de bienvenue ?

L'intrus secoua la tête, agacé. Visiblement, il ne comprenait pas plus son jargon que lui le sien.

— Cò às a than thu ?

— Cela ne nous mène à rien, soupira-t-il. Passe ton chemin et il ne t'arrivera rien.

Il ne savait pas si l'homme avait assimilé ce qu'il lui disait, mais le ton menaçant qu'il avait employé ne laissait pas de doute sur l'issue de la conversation en cas de refus. Le regard du cavalier s'assombrit davantage et balaya les alentours. Lorsqu'il se posa sur les trois cadavres allongés dans l'herbe, il pâli et gronda dans son dialecte guttural, visiblement furieux.

Le Chevalier se tendit imperceptiblement. Il n'avait plus le contrôle de la situation et ne pouvait rien faire pour l'améliorer. La barrière de la langue l'empêchait de communiquer avec son interlocuteur qui s'excitait de plus en plus, l'épée dangereusement pointée vers lui.

— Je ne suis pas responsable de ce massacre, s'énerva-t-il. Soit tu veux te battre, soit tu t'en vas !

La monture de l'homme commençait à piaffer et racler le sol de son sabot, comme s'il trépignait de lui foncer dessus. Evrard banda ses muscles, prêt à se jeter sur le côté pour éviter l'attaque.

Bandit HeartOù les histoires vivent. Découvrez maintenant