29. Evrard

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Croiser le fer avec Rodolphe était probablement l'une des dernières choses qu'Evrard aurait voulu faire à cet instant. Il ne s'était pas encore complètement rétabli de sa douloureuse séance de torture, et le mercenaire était un duelliste redoutable qui rechignait rarement à user de ruses et de tricheries pour obtenir la victoire.

Avec lui, le Chevalier allait devoir redoubler de prudence.

Contrairement à d'habitude, il opta pour une posture plus défensive et maintint une distance raisonnable avec Rodolphe. Les deux hommes ne s'étaient jamais affrontés directement à l'épée, mais Evrard l'avait vu défaire suffisamment d'adversaires pour savoir que foncer sur lui tête baissée était une idée stupide.

Le mercenaire, après avoir décrit un arc de cercle autour de lui comme un loup affamé, attaqua le premier et se rua l'épée en avant. D'un habile coup de lame, le Chevalier esquiva le coup et recula de quelques pas pour se protéger de ses assauts. Mais à peine eut-il le temps de s'éloigner que Rodolphe fondit à nouveau sur lui comme un oiseau de proie. Il se déplaça rapidement sur le côté pour éviter un coup d'estoc en pleine poitrine. Il sentit le sifflement glacé de la lame lui frôler le flanc, manquant de peu de lui trancher une côte.

— Tu romps devant moi, Chevalier ? le nargua le mercenaire tandis qu'il se dérobait une nouvelle fois.  

— Je préfèrerais que tu ne me tue pas tout de suite, siffla-t-il. 

— Tu sais à quel point j'en meurs d'envie, mais hélas ! Gauthier souhaite que je te ramène vivant. Ce n'est pas amusant de pendre un homme qui est déjà mort. 

— En effet, ce serait très ennuyeux.

Rodolphe s'avança dangereusement. Evrard, flairant le piège, se campa plus solidement sur ses positions, prêt à contrer, ne quittant pas le regard glacial de son adversaire. Le Chevalier n'avait jamais craint le conflit, mais il éprouvait une désagréable sensation d'appréhension face à un ennemi aussi vicieux que lui. Le combat ne se déroulera pas dans les règles de l'art, mais plutôt comme un coupe-jarret grossier et sans loyauté. Le mercenaire dû le sentir car il éclata de rire :

— Tu trembles ?

— Devant toi ? Jamais !

— Tu es plus lâche que dans mes souvenirs, commenta-t-il d'un ton fielleux. À une époque, nul ne pouvait rivaliser avec toi. Même moi je ne m'y serais pas risqué. Le bannissement t'aurait-il affaibli ?

— Je me suis découvert d'autres centres d'intérêts que les combats, répliqua-t-il. La poésie courtoise, par exemple. Tu devrais essayer.

Rodolphe eut un reniflement dédaigneux.

— Je m'en garderai bien !

— Tu as raison, cela ne t'offrirait pas plus de chance avec la gente féminine.

— Contrairement à toi, je n'ai rien perdu de ma superbe ! asséna-t-il, piqué au vif. De nous deux, c'est toi qui fait peine à voir.

Touché dans son orgueil, Evrard sentit la colère monter en lui. Changeant de tactique, il l'attaqua pour la première fois. Surpris, Rodolphe recula précipitamment et leva son épée à la seconde où le Chevalier abattit la sienne. Les deux lames se heurtèrent avec violence et l'écho se répercuta contre les arbres alentours. Bien ancré sur ses appuis, il poussait sur ses bras avec tant de force que le mercenaire, moins corpulent, n'eut d'autre choix que de reculer d'un bond pour lui échapper. Evrard ne lui accorda pas une seconde de répit et se jeta sur lui en visant le bras. Mais au dernier moment, il exécuta une rotation du poignet et feinta, pointant son arme sur sa jambe. Sa lame ne rencontra pas la chair et les os, mais l'acier tranchant de l'épée adverse. 

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