03- Un pied baladeur

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Munie de mon livre, barrière efficace dans ce monde qu'est le lycée, je me pose sur le banc à l'abri du soleil tandis que les filles affluent sur l'herbe pour profiter des rayons. Mes amies étant occupées sur un projet de classe, je ne boude pas mon plaisir en savourant le silence.

Nous sommes au début du printemps. L'hiver saisissant de Séoul commence à s'effacer timidement, permettant ainsi aux plus aguerris de diminuer la couche de vêtements. Cela est synonyme pour moi de lecture sur le transat et rien de plus. Je pourrais savourer tout un été à ne faire que ça mais mon père prend plaisir à me trainer aux différentes soirées et cérémonies afin que je me fasse connaitre dans le milieu. 

Sans grande surprise, l'équipe de Changbin rejoint l'attroupement féminin, bientôt complété par Yeonjun, Beomgyu et Taehyun. La classe de Terminale C est composée de spécimen plutôt agréables pour les yeux mais tous attirés par la même chose, qui n'est pas moi.
Il est intéressant de voir ces mâles se jauger. Malheureusement pour mes rétines, je dois me rendre aux toilettes du troisième bâtiment pour un entretien spécial. Celles-ci sont hors d'usage puisque l'arrivée d'eau a été condamnée depuis deux ans mais elles servent de base pour des échanges illégaux. 
Situées au rez-de-chaussée dans un coin isolé du lycée, elles sont accessibles par différents passages, ce qui en fait un lieu efficace pour la discrétion dont j'ai besoin. 

Mon esprit s'imagine mille et une choses lorsque je passe devant Beomgyu, puis je retrouve rapidement mes esprits. Les grands sourires de Karina expliquent ce qu'il fixait. Il manquait plus que je le salue et ça aurait été la honte ultime.

Sur mon trajet, je planque mon sac dans mon casier afin d'être libre de mes mouvements. La capuche de mon sweat relevée, je parcours la distance nécessaire jusqu'à ne plus rencontrer de personnes sur mon chemin. Je patiente cinq bonnes minutes dans un angle afin de vérifier que personne n'y campe également puis entre dans les toilettes et me réfugie accroupie sur la cuvette du troisième WC, la porte battante verrouillée. Dix minutes plus tard, du bruit m'indique que mon rendez-vous doit être arrivé. Comme prévu, la personne s'installe à côté et frappe deux coups contre la cloison. Je réponds par le double. Dix secondes plus tard, elle recommence puis glisse un papier sous cet espace en bois surélevé. Je ne sais pas comment les architectes pouvaient penser qu'on urinerait ici sans se sentir gêné. Je récupère le pass du bout des doigts en frôlant les gants de l'inconnu et valide visuellement la vraisemblance du code indiqué. Je sors de ma poche une liasse de billets et la tends. Celle-ci est récupéré immédiatement et l'occupant quitte les lieux avec précipitation comme à chaque fois. 
Nous nous reverrons probablement dans deux semaines quand les identifiants auront été modifiés. Ce côté risqué et illégal me met à chaque fois en transe. 

Evidemment, je ne passe pas par la porte pour tomber sur le complice dont j'ignore l'identité et me rends vers la fenêtre juxtaposant les lavabos. Mon échappatoire ne me prend pas beaucoup d'énergie et j'atterris sur le goudron de la zone dédiée aux ordures. 
Enfin presque...

Je n'avais pas anticipé que quelqu'un serait assis à même le sol à fumer une clope.

— Putain, c'est quoi c'te merde? 

La surprise de cette rencontre me fait retomber sur les fesses à deux mètres de l'inconnu que j'avais piétiné il y a quelques secondes. Mon visage blêmit en découvrant qu'il ne s'agit d'autre que de notre mannequin national. Le silence s'abat entre nous. Je ne devrais pas être ici, lui non plus. Encore moins quand je fixe cette cigarette qu'il est interdit de consommer dans l'enceinte de l'établissement et encore plus quand on est une figure publique telle que lui, idolâtrée par les mères de famille conservatrices. 

Il l'écrase sous sa chaussure et se redresse pour me surplomber. Mince, je ne le pensais pas si imposant. Haut de son mètre soixante-dix-neuf, je me sens ridiculement fragile. 

— Si t'en parles, je vais faire de ta vie un enfer. 

Sa voix est irrésistiblement rauque mais je suis plutôt surprise par la tournure des événements. Cet espèce de Ken essayerait de m'intimider? Voilà un scénario que je n'avais pas envisagé. Après quelques secondes à jauger la situation, je hausse les épaules et lui balance un coup de pied au niveau de l'entre-jambe avant de fuir telle une voleuse, le sourire aux lèvres. Le coup n'a pas été très fort, lui laissant largement le temps de protéger ses bijoux de famille mais au moins cela lui servira de leçon. Voilà ce qu'il en coûte de menacer les gens.

Une fois de retour au milieu de la civilisation, je retire mon gros sweat qui couvrait mon corps jusqu'à la moitié de mes cuisses, exposant le débardeur blanc et la marque de mon soutien gorge. Je fais partie de ces filles qui ont eu une forte poussée de la poitrine avec l'adolescence, ne sachant réellement pas quoi faire de ces deux grosses horreurs. Notre société prônant la maigreur avec l'obligation de se couvrir les épaules, il est difficile d'expliquer que rester compressée toute une journée relève du désagréable. 

— Oula, cache-nous tout ce qui déborde, s'amuse Maye. On ne voudrait pas faire de cauchemars. 

L'assistance aux alentours s'enflamme mais je ne lui laisse pas le temps de profiter de sa gloire. 

— Dans ce cas, n'hésite pas à te servir d'un miroir. Au fait, t'as du rouge sur les dents... 

Le doute, y a rien de pire.
Je la contourne, la laissant seule avec sa rage pour reprendre mon sac et le chemin des cours. Mais un petit soupir accompagné d'un hochement de tête venant de Jeongin me met mal à l'aise. Depuis quand m'observe-t-il? Cela n'annonce rien de bon. 

Une fois la porte de la classe passée, Joy me salue et m'indique la place qu'elle a gardé pour moi mais celle-ci est beaucoup trop exposée. Je traverse pour m'installer à l'arrière, près du radiateur, zone idéale pour se faire oublier, et l'invite à en faire de même.

— J'avais peur que tu ne manques le cour comme vendredi dernier. 

Je hoche la tête pour signifier que je l'écoute mais ne lui indique pas les raisons de cette absence. Il me fallait une pièce pour mon brouilleur de voix et le vendeur ne proposait que ce créneau pour la rencontre. Je ne pouvais pas me permettre de manquer cette occasion avec un prix de vente aussi bas. 
Le professeur débarquant enfin, cela met fin à mes pensées sur ce qui me resterait à améliorer dans mon équipement quand une autre entrée me fait frissonner. Un jeune homme aux cheveux rouges et à l'air renfrogné me fixe avec un regard de braise. 
Il semble vouloir la mort de quelqu'un.

Red LightsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant