Red Lights

28

La vie en compagnie de Mason et Lyam est loin de ressembler à un long fleuve tranquille. Je suis certaine que les autres lycéennes doivent nous imaginer hurlant des obscénités sur un lit alors que la vérité est tout autre. Notre maisonnette respire le calme et l'ennui tandis que nous nous regardons dans le blanc des yeux, assis sur le canapé abîmé. La détresse du mannequin se sent dans sa façon de limiter le contact du mobilier avec son fessier pendant que je laisse les lattes s'enfoncer dans mon dos. Notre mutisme nous permet d'écouter les cris de joie d'Elle poursuivie par Christopher, visiblement plus intéressé par sa voisine de maison que par son groupe.

— Vous souhaitez qu'on commence par quoi ? Une partie de poker, le questionnaire, une discussion autour d'un verre ? Une baise ?
— Je t'avouerai que tu me fais peu d'effet et comme on ne va pas trinquer à l'eau, commençons à remplir ce papier, tranche Lyam.
— Meena ?
— Je vous suis.

Ce que le mannequin n'a pas remarqué est que Mason n'est pas venu les mains vides. Je suppose que, s'il n'a pas fait mention de la bouteille de vin qu'il transporte, c'est qu'il la réserve pour plus tard. J'en viens même à me demander s'il compte s'éclipser pour rejoindre l'une des jeunes filles qu'il a mentionnées dans le car. Toutefois, l'heure est au sérieux et je me dévoue pour griffonner sur le document.
Les premières questions s'enchaînent avec aisance, jusqu'à ce que la réflexion entre en jeu.

— Quelle différence faites-vous entre la comédie musicale et l'opéra ?
— Google est mon ami ? répond Mason.
— C'est con, mais j'aurais dit le lieu, propose Lyam.
— Tu les prends pour des débiles ? ricane Mason.
— Du calme. C'est une bonne réflexion. On peut rajouter le fait que l'opéra est une suite de chansons et qu'il n'utilise pas de micro.

Mes propositions sont validées et encouragées par celui qui s'autoproclame juge du questionnaire, et ne manque pas d'envoyer des pics au mannequin, encore nouveau dans le monde du spectacle.

— Quelle est la comédie musicale la plus jouée dans le monde ?
— Facile. Le roi Lion, propose Lyam.
— Encore à côté. C'est le machin français. Les Misérables, voilà. Merci Meena. Question suivante. Prépare-toi, Rixon, tu vas encore te planter.

Amusée par cet acharnement, je reste tout de même concentrée par la lecture de la question, qui me vole un léger sourire.

— En quoi la mode s'est-elle inspirée des comédies musicales ?
— Putain, Rixon. Celle-là, elle est pour toi. Vas-y, donne tout.

Aucun de nous ne cache son éclat de rire, sachant qu'il s'agit sûrement de l'unique moment de gloire que pourra vivre le mannequin dans cette page consacrée à la culture générale des arts de la scène.

— La Fashion Week de 2019, de Dolce & Gabbana. Je pense que personne ne l'aura.
— Peux-tu expliciter, jeune homme, lui proposé-je.
— Indique qu'il y avait une énergie éclectique et très cinégénique.
— Je t'avouerais bien que je suis admiratif, mais par curiosité, avoue. Gamin, tu matais des défilés, Rixon ?
— Ça pue le commentaire sexiste, interviens-je.
— Pas du tout. J'apprends à connaître mon binôme de nuit.
— Sors les rames. Je trouve ta culture de la mode très impressionnante, soufflé-je à celui qui rougit de mes mots.

Heureusement pour mon ennui, nous tournons enfin la page et passons à la partie logique. Je suis certaine que chacun pourra apporter sa pierre à l'édifice de façon plus équilibrée.

— Si vous ne deviez emporter qu'une chose sur une île déserte, que serait-elle ?
— Elle est déserte comment ton île ? se renseigne Lyam.
— Ce n'est pas précisé, soufflé-je. Tu dois sûrement avoir quelques palmiers sinon tu mourrais d'insolation et la question n'aurait pas lieu d'être. Donc déserte de personnes.
— Ok, alors un couteau.
— Parfait. J'emmène la trousse à pharmacie. J'ai vu à quel point tu es doué avec les arbres.
— Continue et je t'oblige à les couper pour construire notre abri.
— Ose me menacer et je garderai les médicaments pour moi. J'attendrai que tu souffres d'une septicémie et je secouerai gentiment les fioles devant ton nez sans te les donner.