Red Lights

13

Sa bouche, si proche de ma peau, réveille quelques frissons ainsi qu'un réflexe de tremblement qui donne l'impression de crainte alors que je suis surtout fascinée par le maelstrom d'émotions qui habite le beau mannequin. Après un léger recul, ses yeux se mettent à fixer l'arc de Cupidon de ma lèvre comme s'il souhaitait se l'approprier. Je refuse de lui laisser présumer qu'il mène ce moment et ruine toute cette magie en tendant ma langue entre mes dents. Le sursaut qui l'agite me vole un sourire facile qu'il ne partage pas si j'en crois son exaspération.
Repoussant son torse pour qu'il m'accorde de l'espace, je remets un peu d'ordre dans mes vêtements poussiéreux et froissés avant d'entamer une petite marche.

— Tu vas où ?
— Suis-moi et tu verras.

Cette invitation me laisse déterminer le degré d'emprise que j'ai sur lui. Nous sommes hors de l'académie, à l'arrière du complexe et Lyam doit s'en douter. Les journalistes sont hors de portée et rien ne l'oblige à supporter davantage ma présence. Il voulait de l'espace entre nous, je lui en offre après ce sauvetage qui remet les compteurs à zéro entre nous. Je mentirais si je disais que je souhaitais le voir prendre l'autre direction, mais je n'apprécie pourtant pas l'impact que ses décisions ont sur moi. Lorsque je l'entends trottiner, ça me réjouit.
À l'arrêt de bus dont la ligne circule jusque dans les hauteurs de Santa Monica, une grande affiche publicitaire placarde son identité pour du parfum, ce qui a tout fait de le paralyser. Comme s'il souhaitait empêcher quiconque d'admirer la photo et de faire le lien avec le protagoniste principal, il prend appui sur la vitre tout en ébouriffant ses cheveux pour cacher son visage.

— Tu es conscient que toutes les femmes de ce pays se sont déjà touchées devant cette pub et la connaissent parfaitement ?
— Je suis ravi de savoir ce que tu fais de tes samedis soirs, Jung Meena.
— Tu te trompes de jour me concernant. Ah. Voilà mon chauffeur. 

L'artiste aflligé sait pertinemment quel véhicule arrive puisqu'il a un indice avec notre lieu d'attente, mais c'est tout de même mignon de le voir espérer une berline ou limousine. J'aime entendre son souffle de dépit tandis que nous passons par la deuxième porte. Je suis la seule à valider mon ticket alors qu'il se jette sur l'une des places libres et ne me quitte pas du regard comme s'il craignait que je l'abandonne dans un univers qu'il ne maîtrise pas. Je lui laisse de longues minutes de trajet avant de décider de le taquiner à nouveau.

— Rassure-moi, ce n'est pas la première fois que tu prends le bus.
— Depuis que je suis célèbre, si. Tu imagines l'émeute qui peut se déclencher si quelqu'un me reconnaît ?
— Au pire, on te jettera quelques soutifs, rien de bien dramatique.
— Tu es véritablement inconsciente. Voilà pourquoi il faut vraiment que je t'évite. Quand on descendra de ce bus, chacun reprendra sa vie. Plus de contact, plus de provocation.

Cette même rengaine a un effet différent sur mon organisme. Cette fois-ci, je manque de patience face à ses craintes, et décide de le prendre à son propre piège.

— Pourquoi attendre ? Séparons-nous maintenant.
— Quoi ?
— Ne me parlez pas, jeune homme. Je ne vous connais pas. Chauffeur ! Chauffeur ! Cet individu n'a pas réglé son ticket. Cet homme est un fraudeur ! Je répète, cet...

Les doigts de celui qui voulait me voir disparaître se posent subitement sur mes lèvres pour m'empêcher de parler ou de respirer. Je peux sentir l'adrénaline qui influe dans son corps tandis qu'il profite de l'arrêt pour nous faire descendre en catastrophe. Sa main saisit mon poignet et ne me laisse pas le choix dans la course qu'il nous impose. Ce que Lyam ignore est qu'il n'y a quasiment pas de contrôleurs sur cette ligne car elle ne dessert que des résidences luxueuses et concerne très souvent les employés de maison qui ont des cartes payées. Je me laisse alors prendre en otage dans cette pente épuisante menant jusqu'au gardien qui s'étonne de nous voir débouler en sueur devant la grille.