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La fin de semaine passe sans que je ne puisse m'entretenir avec mon mannequin préféré au sujet de son voyeurisme puisqu'il est tout simplement absent. Je commence à croire que sa participation au monde réel n'était qu'un coup marketing car en parallèle, les articles sur lui défilent et inondent mes pages people. Il est question de la patineuse, prétendue petite amie du moment, qui présente officiellement ses excuses pour sa tromperie et met en exergue la possibilité d'une peine de coeur qui se gère de l'autre côté de mon jardin. 
Le lundi soir, ma torture liée à un suspense insoutenable pour ma curiosité maladive me pousse à réagir. J'abrège le cours de danse pour me ruer sous la douche une fois à mon domicile et enfiler une tenue digne d'un film d'espionnage. En face de ma propriété, les lumières semblent éteintes à l'étage, ce qui me donne le feu vert pour mon action impulsive et irraisonnée. Escaladant la paroi jusqu'à atteindre le deuxième balconnet, je refoule l'envie d'entrer dans mon antre pour gérer un autre problème et m'approche de l'arbre que nous avons en commun. Le vent qui souffle fort en ce début de soirée rend la traversée périlleuse, mais je parviens à me rapprocher au maximum de sa fenêtre avant de devoir sauter jusqu'à la bordure. L'architecte ayant vendu les plans et supervisé la construction ne s'est pas embarrassé de fermetures trop complexes pour mes voisins. Et je remercie mes hôtes trop fainéants de ne pas avoir effectué quelques modifications. Il me faut juste un peu de force pour pousser l'ouverture et pénétrer dans le périmètre intimiste de la star nationale.

Les raisons de ma présence en ce lieu s'éloignent pour laisser place à une véritable appétence de l'indiscrétion. Mon envie de fouiner dans chaque recoin m'incite à me diriger de tous les côtés et à me parler à moi-même pour ne pas me laisser débordée. J'oublie la morale et me rue vers la table de chevet à la recherche d'objets se rapportant au sexe. Pourtant, seul le livre de Margaret Artwood y trône, avec une légère pellicule de poussière, indiquant que le tiroir n'a pas été utilisé très souvent. Celui d'en dessous regorge de paquets de mouchoirs, de gouttes pour le nez ou de cachets pour la migraine, mais rien qui ne ressemble à des revues pornographiques ou à des préservatifs. Mon choc égale ma déception, car je refuse de croire en l'innocence de ce garçon. Même si je suis la première à hurler à la méfiance des visages candides, Lyam est un jeune adulte comme tous les autres et le sexe lui travaille forcément l'esprit. Nous sommes constamment exposés à des images qui tentent de le banaliser dans la vie quotidienne et qui nous poussent à réfléchir sur nos propres désirs. Avec un accès facilité vers le monde de la mode, peut-être est-il déjà à un stade plus avancé qui ridiculise mes pauvres petits scénarios une fois dans mon lit avec ma main ?
Je continue mon exploration dans son dressing défiant toute concurrence. Celui-ci a la taille d'une annexe et est optimisé pour rendre utile chaque centimètre ou suspension. Ma main glisse sur les tissus délicats de marques, cherchant à s'imprégner d'un monde qui n'est pas le mien et qui me rappelle le fossé existant entre le grand mannequin qu'il est et la simple fille d'entrepreneur que je suis. Je bénéficie du travail acharné de mon père quand lui, réalise ses rêves. Aucun vêtement ne traine au sol ni ne camoufle une chaise ou un fauteuil dans l'attente d'un rangement ou d'une mise au sale. Les possibilités d'employés de nettoyage aux passages récurrents ou d'un individu maniaque de la propreté me font douter. Ces vingt-cinq mètres carrés respirent la perfection, sans un meuble de travers ou une surcharge d'effets personnels. Je ne trouve aucune photo sur les murs ou son bureau, tout est impeccable comme si personne ne vivait ici. 

Je refoule ma honte à la pensée de l'état de ma chambre et le temps impressionnant que je peux y passer le matin à la recherche de mes culottes préférées, quand des échanges de voix m'indiquent le rapprochement imminent des habitants de cette demeure. Mon corps vacille à la recherche du meilleur endroit pour se réfugier. Le passage par la fenêtre me demanderait une préparation dont je ne bénéficie pas. Le dressing m'empêcherait d'avoir une porte de sortie en cas de découverte et le lit me semble trop bas pour que je puisse m'y faufiler, si tant est que je ne m'emmêle pas avec cette installation de fils reliés à la prise. La seule possibilité réside en un espoir désespéré concernant la dernière porte que je n'ai pas exploré. Au moment où j'entends la poignée s'enclencher, je referme la porte de mon côté et me laisse submerger par les tambourinements de mon coeur. L'adrénaline m'empêche de comprendre parfaitement ce qui se joue derrière la cloison. Ma cage thoracique enchaine les gonflements à un tel rythme que je crains d'exploser alors que mes mains tremblent de frayeur. Je ne suis définitivement pas faite pour ce genre de folie. 
Derrière moi trône une magnifique baignoire sur pied, celle qui n'existe que dans les villas de grand luxe avec une douche à l'italienne dans le coin près d'une fenêtre qui semble donnée sur mon repère secret. Lyam Rixon peut donc espionner mes faits et gestes, tout en se frottant avec du savon. Afin d'éviter que mon esprit pervers ne dérape, je me concentre sur les hurlements qui redoublent d'intensité et laissent à penser qu'une véritable guerre fait rage de l'autre côté. Lorsque les pas se rapprochent de moi, je m'éloigne de la porte, puis j'oriente mon écoute pour faire état de l'avancé de cet affrontement. 

— Cette petite prostituée n'a donc pas honte ! Après tout le fric que je lui ai fait gagner ! enrage sa mère. 

Je blêmis pour la patineuse qui est rhabillée pour l'hiver et comprends que la situation se dégrade pour moi quand la poignée commence à s'abaisser. Ce lieu de repli offre encore moins de possibilités de cache, mis à part cette immense baignoire dans laquelle je me jette et me recroqueville pour espérer disparaitre.

— Tu me fais chier ! lance Lyam, fou de rage.

Je reste tétanisée par les mots qu'il utilise contre sa mère et ressens une pointe de gêne à l'idée d'assister à une crise familiale privée. Il m'arrive rarement de m'emporter contre mon père, mais je ne souhaiterais pour rien au monde qu'un étranger observe ce moment qui révèle les fêlures de l'âme. Le concerné verrouille la porte, empêchant la furie de nous rejoindre, tout en continuant de la provoquer. 

— Ne me parle pas sur ce ton ! Tu me dois tout !
— Non, je ne te dois rien. Va te faire foutre, toi et tes délires. 

Un objet semble voler à l'autre bout de la pièce si j'en crois la vision furtive que j'en ai eue et le bruit de l'impact. Le mannequin ne veut plus entretenir cette discussion alors que la poignée de la porte est malmenée de l'extérieur. 

— Ouvre-moi tout de suite ! On n'a pas fini cette conversation.
— C'est ton problème. Moi, j'me fais couler un bain pour ne plus t'entendre. Va te consoler avec ton verre de Chardonnay. 
— Lyam ! Tu me... Arrrrgh ! 

Je crois que la victoire de ce duel est attribuée à celui qui se tient à quelques mètres de moi et ricane en sachant qu'il vient de mettre sa mère à terre en lui envoyant son alcoolisme passif à la figure. Impressionnée par son culot, je suis à deux doigts de l'applaudir et de le féliciter alors que j'ignore les tenants et aboutissants de ce conflit, mais une lueur de crainte me ramène à la réalité lorsque j'entends le mannequin se dévêtir et laisser tomber ses vêtements sur le carrelage. Il y a une chance sur deux pour qu'il se dirige vers la douche à l'italienne et continue d'ignorer ma présence. Croisant les doigts et les orteils, je me mets à invoquer tous les dieux possibles pour ne pas que ma tentative d'espionnage soit révélée. Mon pouls se remettant à battre à une vitesse folle, je me perds en le croyant à un endroit puis à un autre, et déchante quand une main se fige sur le robinet en or, situé au-dessus de ma tête. Dans un geste très lent pour espérer un réveil après un sommeil agité, je finis par croiser son regard et opte pour un coup de folie. 

— Je... peux tout t'expliquer.

Red LightsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant