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Je définis avec difficulté les émotions qui me traversent tandis que j'observe Lyam Rixon au pied de ma baie vitrée. Débranchant le micro pour m'assurer d'aucune fausse manipulation, j'éteins l'écran et me lève précipitamment pour affronter celui qui n'a rien à faire ici à cette heure tardive. J'incarne alors le rôle de la voisine affolée, offusquée par cette intimité brisée.

— Au voleur ! hurlé-je à plein poumon.

Cherchant au plus profond de ma cage thoracique, je pousse un cri aigu digne d'une soprano, mais constate que mon choix de réaction n'a pas l'effet escompté. Lyam dandine jusqu'à moi et m'envoie une pichenette sur le front pour que je me taise.

— Y a rien que tu ne possèdes qui m'intéresse, Jung Meena.
— Alors, qu'est-ce que tu fabriques chez moi ?
— Je suis ici pour une mission secrète et comme son nom l'indique, je ne peux pas te révéler le but de mon intrusion. Pousse tes fesses.

L'insolent percute mon épaule pour s'installer sur ma chaise, réveillant une angoisse ultime en sachant que je n'ai pas éteint la tour. À son air ravi, je comprends qu'il a dans l'intention de fouiller dans la moindre parcelle de mon existence pour obtenir ce qu'il cherche. S'il se trouve en ce lieu, c'est que le mannequin n'a pas juste une belle frimousse et doit avoir découvert le rôle que j'incarne à l'Académie. Ou presque...

— Cette pièce mystérieuse n'est donc qu'une chambre.
— Bingo, Einstein. Tu peux rentrer chez toi.
— Pas si vite, Meena. Il y a quoi dans ces cartons ?

La zone qu'il désigne bloque l'entrée par la pile qui occupe l'espace. Aucune indication n'est mentionnée puisque ces objets ne sont pas destinés à être réutilisés. Tous portent le parfum ou le souvenir de celle qui m'est chère. J'inspire profondément pour trouver le courage de le relater à celui qui ignore tout de mon existence.

— Il s'agit des affaires de ma mère.
— Pourquoi ne les jette-t-elle pas ?
— Parce qu'elle n'est plus en mesure de le faire. Elle est décédée.
— Ah...

C'est souvent la réaction que je rencontre à l'annonce de cette précision. On pourrait croire que le temps arrange tout, qu'il est plus facile d'évoquer l'immuable avec les années, cependant je perçois ce même goût amer dans ma gorge et mon pouls qui accélère.

— C'est quand même bizarre.

L'ajout de son commentaire me sort de ma rêverie, et entraine un froncement de mes sourcils. Aucune trace de peine ne se lit sur son visage, contrairement à de la circonspection.

— Je peux savoir de quoi tu parles ?
— Ça. Tu as installé ton ordinateur fixe dans une pièce qui a des airs de mausolée. C'est flippant.
— De quoi est-ce que je me mêle, le cambrioleur ?
— Je t'ai dit que je ne voulais rien te voler, hormis ta vérité.
— Et bien la voici. Ça me fait du bien d'être près d'elle.
— Ok. Alors parle-moi d'elle.

Le virage déroutant que prend notre conversation m'oblige à poser mon séant au sol, non loin de ses pieds dénudés. Ceux-ci portent la trace des griffures de l'arbre qu'il a brillamment traversé cette fois-ci.

— Tu sais que la bienséance veut qu'on évite d'évoquer le sujet du deuil avec la famille proche.
— Mais moi, ça ne m'intéresse pas de faire comme tout le monde et de répondre que ça va quand ce n'est pas le cas. Alors, qui était-elle ?
— Kate Tracher, épouse de Jung Seojoon et mère de Jung Meena pendant six courtes années.

Fixant ces boîtes comme si celles-ci me parlaient et illustraient mes propos, je raconte le souvenir de celle que j'évoque trop peu. Mon père vit un deuil constant et se brise à chaque mention qui m'échappe, m'empêchant d'honorer sa mémoire à travers des paroles positives et réconfortantes. Et l'initiative culottée de cet intrus me permet enfin de la rendre un peu plus réelle, quand parfois j'en viens à douter de notre passé.

Red LightsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant