13- PS: I want to kiss you

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Ma bouche est si proche de la sienne que je peux sentir son souffle réchauffer ma peau. Ses yeux ne fixent que cette partie qui s'apprête à entrer en contact avec la sienne. Lorsque je le sens bien mûr, je sors ma langue et l'agite de gauche à droite tel un serpent affamé.
L'effet est immédiat. Hyunjin a un mouvement de recul et devient aussi muet qu'une carpe, pour le bien de mes oreilles. Je ne lui laisse pas le temps de réagir et entame une marche vers l'arrêt de bus situé un peu plus loin. C'est alors que je réalise qu'on aura du mal à passer incognito avec sa chevelure rouge. Tant pis.

— On va où?

— Retrouver mon chauffeur avec sa Hyundai. 

C'est hilarant de le voir se détendre pendant les dix minutes suivantes avant de découvrir sa mine déconfite. Pas besoin de mots, son aura parle pour lui quand je valide deux tickets de transport et nous installe à l'arrière du bus.
Il met plusieurs minutes à redescendre en pression et s'agace de mon sourire triomphant. Ce type déteste perdre, ça se sent.

— Très drôle, la tâche. 

— Appelle-moi encore une fois comme ça et je hurle que tu n'as pas payé ton entrée. 

Hyunjin balbutie et désigne les deux morceaux de papier rectangulaires que je tiens fermement entre les doigts. S'il croyait s'en sortir aussi facilement avec son attitude arrogante, c'est qu'il me connait mal. 

— Tu n'oserais pas...

Perdu.
Je me mets à crier et à faire de grands gestes au chauffeur en indiquant mon voisin de siège tout en prononçant le mot fraude telle une vierge effarouchée. Hyunjin en perd de suite de sa splendeur, tente de m'arracher le fameux ticket avant de trembler de peur. Je crois qu'il ne doit pas être habitué aux situations embarrassantes.

Le bus s'arrête à l'arrêt suivant et j'aperçois le chauffeur passer un appel radio pour demander la présence de contrôleurs. Je tire par le t-shirt ma victime préférée et nous fais descendre précipitamment avant de commencer à courir. Il me suit sans hésiter et nous arrivons à bout de souffle dans l'allée de notre quartier résidentiel. 

— Meena... Je te... promets... que tu vas... me le... payer... très... cher. 

Tant de douceurs dans une bouche parfaite. S'en est trop pour moi. 
Je me permets de le saluer alors que nous pénétrons chacun dans notre propriété mais une dernière envie me submerge. Je ne peux pas le laisser sur une si mauvaise note. 

— Hey ! Hyunjin! 

Il lève la tête au-dessus de la haie pour m'apercevoir. Je fais mine de fouiller dans la poche de mon jean et en sors un doigt d'honneur ainsi qu'un sourire irrésistible. Son air furibond vaut tout l'or du monde. Voilà. Maintenant je sais qu'il passera une très bonne soirée en pensant à moi. Je garderai toujours en mémoire ce si beau regard de tueur.

Mais pas de repos pour les guerriers, mon planning habituel est plus que chargé. Dans la demi-heure qui suit, Irène, Joy et Wendy passent me récupérer pour le cours de danse du lundi soir. Il m'arrive parfois de m'amuser à reproduire les chorégraphies mais le niveau est tellement élevé que je suis rapidement à la masse. La rapidité avec laquelle toutes ces personnes présentes assimilent les pas est affolante. Moi j'en suis encore à me demander si on doit démarrer avec le pied gauche. 

A deux reprises, je vois Joy se ruer vers son portable pour envoyer un texto puis rattraper son retard laborieusement. Ca ne lui ressemble pas d'être aussi peu attentive. Le professeur ne manque pas de lui faire une remarque au bout d'un moment avant de changer littéralement d'attitude. La musique se coupe et je percute le dos de la demoiselle devant moi. 

Tous se figent et observent la silhouette à l'entrée. Je découvre alors avec surprise mon père. Je pensais réellement qu'il retournerait travailler comme prévu. L'atmosphère devient tendue. Chaque fille présente en ce lieu souhaite attirer son attention pour une future participation à un show. Mais moi, c'est un tout autre sentiment qui m'habite. Je veux simplement qu'il soit fier de moi. Alors quand la musique redémarre, je donne mon maximum sur une activité que je n'avais jamais pris au sérieux. Je sais qu'il me regarde et sourit. 

Une fois la chorégraphie terminée, il s'avance directement vers moi pour me prendre dans ses bras et embrasser mes cheveux. 

— J'suis toute crasseuse. 

— J'ai changé tes couches pendant des mois, tu penses honnêtement que c'est de la sueur qui va m'empêcher de serrer ma fille dans mes bras? 

Mon coeur se met à battre un peu plus fort, activant le rouge dans mes joues. Mon père me pousse à me dépêcher de me changer tandis qu'il discute avec le professeur tout tremblant. Ce n'est pas tous les jours qu'une personne influente issue des grandes entreprises gérant l'univers de la K-Pop débarque ici. 

L'effervescence est à son comble dans les vestiaires. C'est à peine si je parviens à me doucher sans qu'une des filles ne m'interpelle pour me poser les mêmes questions qui m'épuisent. Si j'ai choisi de m'isoler dans la vie de tous les jours, c'est pour éviter de me demander si les gens me côtoient par intérêt ou sincérité. Seule trois réponses positives ont été validées jusque là et ça me convient parfaitement. 

— Souris, Mimi. 

C'est une chose que j'essaierai à un autre moment que lorsque j'enfile ma culotte. Je ne suis pas pudique mais il y a un temps pour tout. 

— Tu crois qu'il a un truc à t'annoncer? Me questionne Wendy. 

— Non. Je pense qu'il veut juste jouer son rôle de père pendant quelques heures avant de reprendre son vrai métier. 

— Arrête, t'es dure avec lui. T'as une idée du nombre d'emplois et de carrières qu'il gère. Faut pas lui en vouloir.

En attendant, il délaisse la seule chose qui devrait avoir de la valeur à ses yeux. Cette pensée me mine le moral quelques secondes mais je reprends mon masque de petite guerrière et ferme mon sac tandis que je salue mes amies. 
Mon père nous entraîne dans son Audi d'un noir mat et lance la musique du dernier groupe dont il fait la promotion. 

— Ce soir, c'est pizza. Ca te convient? 

— Hum Hum. 

Ca change des plats à emporter donc pourquoi pas. 

— On va se regarder Breaking Bad, comme à l'époque. T'es partante? 

— Il y a 5 saisons papa. Je ne t'ai pas attendu pour avancer. 

En sachant que le visionnage de l'épisode 2 de la première saison remonte à il y a plus d'un an. 

— Ah... Ben c'est pas grave. On peut choisir un film. Tu as carte blanche, mais évite tes trucs à l'eau de rose. J'ai pas envie de devoir tourner la tête quand certains s'embrasseront. 

Mon père est du style vieux jeu mais avec un bon fond. Pour jouer le rôle de la petite peste à la perfection, j'opte pour PS: I love you. C'est un régal de le voir hurler de gêne dès qu'un baiser entre en scène. Je sais qu'il en rajoute des tonnes pour me faire rire. Puis la tristesse prend le pas sur l'humour. A plusieurs reprises, je me mords l'intérieur de la joue pour ne pas pleurer. Mon père, ce guerrier si souvent absent, s'autorise à me prendre dans ses bras pour me réconforter pendant ces minutes que je savoure intensément. 

Red LightsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant