07- Un arbre pour deux

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C'est un nouveau jour et une nouvelle soirée qui s'annonce seule. Cela fait plus d'une semaine que mon père n'est pas repassé par notre domicile. Ce n'est pas courant mais il a déjà fait pire. Comme pour se faire pardonner, je vois qu'il m'a fait livrer un bon repas. Je l'en remercie donc vers la caméra et me dirige du côté des angles isolés.

Avec le temps, j'ai appris à éviter d'agir sous son visu. La partie droite du salon donnant sur la fenêtre n'est pas couverte, tout comme le sellier, la buanderie et la partie haute de la villa comprenant les chambres et la salle de bain.
Mais le secret que je protège ardemment réside vers la dernière pièce condamnée dans laquelle on ne peut accèder que depuis le balcon de ma chambre. Justement je m'y rends, mon repas accroché en bandoulière. Pour cela, il me faut longer la bordure en m'agrippant au muret large de quinze centimètres et atterrir sur un petit balcon menant à cette chambre laissée à l'abandon. Ne voulant pas prendre la peine de vider le débarras qu'il y avait, mon père a préféré bloquer la serrure et c'est devenu mon repère pour mes activités illicites.

Une fois retombée sur la petite terrasse, je reçois un caillou en pleine tête. La douleur est plutôt légère mais me fait tout de même grimacer.
Mon premier réflexe est de lever la tête pour voir si le toit ne me tomberait pas dessus, mais tout semble normal. J'entends un appel étouffé puis un deuxième projectile passe non loin de ma main posée sur ce mur.
Il n'y a qu'un seul endroit d'où cela pourrait venir. Je me retourne alors vers l'immense villa voisine.

Je n'ai toujours pas rencontré la famille qui vient d'emménager, tout simplement parce que je ne suis là que le soir et que j'ai une tendance à la méfiance et à l'asocialité.

Je découvre avec stupeur cette tête rouge qui me poursuit.

— Toi!

Il sourit comme si je lui avais envoyé un compliment et s'apprête à m'envoyer un pic quand il tire brutalement le rideau.
Visiblement, Robin des Bois a de la visite. L'envie est trop forte pour les écouter. Cela n'est pas bien difficile puisque ces personnes semblent se hurler dessus pour communiquer.
Je m'accroupis pour rester invisible et tends l'oreille au maximum. C'est sa mère qui est entrée dans sa chambre.
J'analyse le terrain en vue d'une possible attaque. Il est donc intéressant de savoir que son antre se situe juste en face de mon repère. Seul ce Sakura nous sépare. Quand il est en période de floraison, la couleur lui rend hommage mais qu'est ce qu'il peut y en avoir de partout également. Les balcons pullulent de pétales, ce qui rend mes traversées glissantes.
Cependant, le point positif à ce mastodonte est qu'il a des branches d'une taille conséquente. Je m'imagine de suite traversant cet espace pour lui balancer un nouveau coup de pied bien mérité.

Le plaisir est de courte durée. Entendre sa mère le sermonner pour des photos de paparazzi peu flatteuses me gêne. On dirait mon père qui doit systématiquement veiller à paraître le plus parfait possible.
Je pénètre donc dans ma salle pour commencer à allumer mon matériel. Mon rendez-vous va bientôt démarrer. Je vérifie les différents branchements quand un cri étouffé me parvient tel un panda échoué sur la banquise.

Je me précipite vers la terrasse et découvre Hyunjin faisant de l'acrobranche version cochon pendu. Le spectacle est trop improbable pour que je réagisse mais la provocation, ça me connait.

— J'attends que tu t'écroules ou tu veux un coup de main?

Il grommelle quelques injures, ce qui me pousse à patienter qu'il perde un peu plus de sa fierté. Je ferme derrière moi prudemment les portes de ma salle. Après tout, ces vingt dernières minutes peuvent être utilisées autrement qu'à relire mes informations.

— J'vais mourir, finit-il par avouer. A l'aide.

Il est temps de sortir ma cape et mon épée pour sauver le grand mannequin d'une égratignure. On est à deux mètres du sol, rien de bien dramatique mais assez pour se fouler la cheville. Je remonte mes manches et analyse l'angle. Les branches sont trop fines à ma portée. Je vais devoir sauter pour atteindre la partie solide et redresser son popotin. Heureusement que je ne crains pas de me casser les ongles.

J'inspire et franchis l'obstacle sans trop de mal. Mon petit paresseux continue de couiner à chaque millimètre qu'il perd. J'arrive sans difficulté jusqu'à lui et pose une main sur son avant-bras.

— Alors, monsieur la Star, on s'entraîne pour le rôle de Tarzan?

— Ta gueule et aide-moi.

Mauvaise réponse. Je lui redresse volontairement le petit doigt et observe ses pupilles se dilater. Je crois qu'il veut ma mort.

— Je n'ai pas bien compris. Je ne parle pas le langage fils de pute. Veux-tu répéter?

— Je... Pitié, aide-moi. Je vais tomber.

— Ah oui. J'ai bien vu ça. Mais dis-moi plutôt ce que tu comptais faire en sautant sur mon arbre.

— C'est pas le tien. Il appartient aux deux propriétés. J'ai donc le droit d'y grimper, si je veux.

— Et t'as le droit d'y tomber.

Je relève maintenant son annulaire de la main droite. Cela a pour effet de faire descendre son corps brutalement. Je sais que je joue avec le feu mais j'attends qu'il cesse son rôle de petit prétentieux.

— Je voulais t'espionner. Voilà. T'es contente?

— Oui. Tu n'as que ce que tu mérites. Mais si tu veux que j'agisse, tu vas me promettre de ne plus le refaire. Répète-le.

— Je ne le ferai...

Il n'a pas le temps de finir sa phrase que son bras se détache. Je parviens tout juste à serrer ses biceps et le hisse vers moi en perdant la moitié de mon énergie.
Je ne pensais pas qu'il faisait ce poids là. Où cache-t-il ses kilos?

— Dis pas merci.

— T'as voulu me tuer...

— Mais je t'ai sauvé. Souviens-t'en. Allez, ciao gros panda.

D'un geste habile, je me remets debout sur la branche et longe jusqu'à ce que j'entende les premiers craquements et saute sur la terrasse. Son regard est émerveillé. Je me demande comment il s'en sortira de son côté, quoique, ce n'est plus mon problème. Je fais une petite pirouette de salutations et lui envoie mon majeur avant de m'enfermer dans ma salle. C'est l'heure, mon public m'attend.

Red LightsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant