Red Lights

15

Ce rejet si facile m'ôte momentanément toute combativité et envie de me démener pour eux. Tandis que les lycéens autour de moi continuent d'encenser celui qui devrait être décrié avec ses ragots et publications à charge, sans fondement, je choisis de garder le silence et de leur offrir le chaos qu'ils méritent. Jusqu'au déjeuner du lendemain, je m'éloigne de toutes discussions futiles et décide même de m'accorder un temps calme dans le jardin, non loin de la cafétéria. Cependant, je n'anticipe pas la compagnie subite de Mason, troublant ainsi mon repos.

— J'peux me joindre à toi ?
— Je pense que tu t'es trompé. La table de Winter est par là-bas. 
— Oh mais je suis exactement à l'endroit où je veux être. Féculent et sauce ? dit-il en pointant du doigt mon plat préparé. Je croyais que vous entamiez toutes un régime hyperprotéiné. 
— Ose toucher à ma gamelle et je fais claquer tes mâchoires. 

Ma menace ne lui tire qu'un amusement au lieu d'une inquiétude. J'ai effectivement entendu parler de ce délire d'éliminer de son alimentation les laitages, gâteaux et pains pour afficher une silhouette de rêve pour le grand final, cependant cela n'est pas dans mes priorités. Je gère actuellement mes émotions et ma culpabilité de laisser l'auteur du compte Mirror Scandal créer la panique autour de nous et briser de futures carrières prometteuses. Chaque lycéen dans cette académie possède la capacité de marquer l'histoire du monde du spectacle, toutefois les places sont limitées et la concurrence féroce. Ce dernier élément, notre trouble-fête l'a bien compris.

— On n'a jamais vraiment eu l'occasion de discuter tous les deux. J'apprécie beaucoup ton caractère, Meena.
— C'est réciproque, Mason.

J'espère qu'il ne détecte pas l'ironie.

— Tu ne cherches pas à vivre pour les caméras, à t'imposer face aux autres. Je le sens que derrière ta discrétion, tu es posée et réfléchie. Et je ne te fais pas ces compliments par rapport à ton père. Je t'ai observé. Longuement. 

Ma suspicion se lit sur mon visage, tant je ne parviens pas à définir la finalité de son discours. Les mots qu'il pense enjôleurs ne font que réveiller mon inquiétude. Quelle est la part de réalité et d'attraction dans ce qui a été énoncé ? Il me faut continuer à l'écouter pour le déterminer et prendre sur moi. 

— Tout ce que tu me racontes est très... touchant. Et c'est tout ce que tu as constaté en m'analysant ? 
— Oh non, ma belle. Tu ne te résumes pas qu'à cela. Mais si tu souhaites que nous nous étendions sur le sujet, il nous faudrait un coin plus tranquille. 
— Comme ? 
— Je te propose de quitter l'académie cet après-midi pour le savoir. 

Son initiative est à nouveau étrange et incohérente s'il me détermine comme quelqu'un de mesuré et de raisonné puisqu'il devrait s'attendre à ce que je refuse. Je considère donc que ses paroles n'étaient que destinées à flatter mon égo. Il mise sur son charisme et son charme pour me faire céder à la tentation de l'interdit. Ma curiosité est la seule chose que me pousse à continuer à jouer dans son jeu. 

— Tu te rends compte que nous serons déclarés absents et nos tuteurs légaux seront immédiatement prévenus ? 
— Si ce n'est que ça qui t'inquiète, j'ai déjà tout prévu. 
— Et tu t'attends à ce que je te fasse confiance ? 
— Tu n'as rien à craindre de moi, Meena. Et tout à y gagner. 

Mason ignore à cet instant qu'il a totalement perdu toute crédibilité à mes yeux. Ma confiance est si difficile à obtenir que ce n'est pas avec une apparence parfaite que je vais la céder. Mais si j'en crois la suffisance de mon interlocuteur, il est persuadé que je m'empresserai d'accepter son offre. J'observe sa main se tendre vers la mienne, puis au loin le regard de Lyam qui suit cet échange. Lui qui ne cesse d'exiger notre éloignement avant de trouver une excuse pour nous faire vivre une nouvelle aventure, ne semble pas apprécier ce rapprochement, ce qui me donne une occasion de le tourmenter. 

— Effectivement, je suis certaine de ne pas le regretter. 

J'avale en trois bouchées le restant de mon plat et me débarrasse du contenant pour le suivre en direction du parking. Si je m'attends à monter dans une voiture, ma fébrilité est palpable lorsqu'il enfourche une grosse cylindrée. Ce genre d'engins est incroyable pour les sensations fortes, mais aussi un ticket en première classe pour l'au-delà. Je reconnais espérer une intervention de Lyam qui s'approche de nous au pas de course, pouvant mettre fin à cette folie, mais tout ce que fait le mannequin est de montrer sa désapprobation en croisant ses bras. Mes yeux se lèvent au ciel pour l'inciter à un peu plus d'énergie et d'assurance afin de revendiquer ce qu'un autre récupère sous ses yeux.

— Qu'est-ce que vous fabriquez ? se renseigne-t-il.
— Oh, Rixon. En forme, mec ? lance le pilote en ajustant mon casque et la visière.

Lorsque mon visage devient méconnaissable, je prends appui sur ses épaules pour m'installer à l'arrière et guette ses instructions.

— On va se balader avec Meena. Dans le genre, tête-à-tête qui ne peut attendre.

Tandis que les sous-entendus sont énoncés, je suis la seule à subir le regard courroucé de celui qui n'est parfait que dans le physique. Étant conscient de cette tension, Mason m'invite à agripper sa taille pour ne pas perdre l'équilibre et fait gronder le moteur pour éloigner l'intrus de nous.

— Meena, descends de là, grogne l'espoir de la nation.
— Tu ne voulais pas qu'on prenne de la distance ? lui réponds-je avec provocation.
— T'inquiète. Je vais veiller sur elle. Tu peux retourner faire le beau.

Sur ces mots, Mason relève la béquille et nous entraîne hors de l'académie, sous les regards curieux des étudiants de retour de leur pause. Je ne sais ce qu'a prévu le tombeur le plus populaire de Santa Monica, mais il a un plan pour moi et il me faudra être vigilante pour ne pas me laisser avoir. Derrière ce physique de brun ténébreux, il serait stupide de ne pas se méfier de l'intelligence de Wade Mason. S'il y a bien une chose que j'ai apprise, c'est que les préjugés ne nous mènent jamais vers les bonnes pistes.