Le premier coup de poing fracasse la mâchoire. Le second atteint l'abdomen. Le type est plié en deux. Dante en profite pour lui envoyer son genou dans le nez. Son adversaire s'effondre dans un râle mouillé de sang, sans demander son reste.
Même s'il sait parfaitement que, dans ce genre de quartier, personne ne fait vraiment attention à deux hommes qui se battent, Dante s'assure que personne n'ait rien vu, tout en s'essuyant soigneusement les mains avec un mouchoir qu'il a tiré de l'une de ses poches. Avec les étonnantes capacités des téléphones d'aujourd'hui, il est très facile de se retrouver à faire le buzz sur les réseaux sociaux. Ce qui ne serait pas du goût du patron.
Ensuite, Dante vérifie avec soin que sa tenue n'a pas trop souffert de sa mission. Il apprécie de ne pas avoir été éclaboussé par le sang de sa victime. Le sang sur le coton blanc d'une chemise, c'est rédhibitoire. Et il aime être impeccable. Pas comme Luigi ou Renzo qui trouvent toujours le moyen de se tacher, voire pire, de déchirer ou trouer leurs vêtements. Mais eux peuvent se le permettre. Ils ont des femmes pour assurer leurs arrières. Pas Dante.
Pourtant, il ne regrette pas, car si Anna et Maria rapiècent, nettoient et nourrissent les deux collaborateurs du jeune homme, elles sont aussi très souvent sur leur dos pour une multitude d'autres choses. Dante préfère rester célibataire. Quand il veut de la compagnie, il choisit dans le cheptel régulièrement renouvelé des femmes de passage dans les hôtels de luxe, et disparaît avec l'aube. Il n'a jamais laissé son numéro, ni pris de petit déjeuner avec elles. Elles ne sont qu'un prénom vite oublié. Comme ça, pas d'emmerdes.
Lorsqu'il sort de la ruelle, Dante est immédiatement happé par le tumulte du quartier. Les rues luisantes de pluie. Les voitures qui roulent au pas dont les conducteurs cherchent parmi les travailleuses de la nuit quelle sera celle qui partagera avec eux un instant d'intimité froide contre une somme d'argent aussi dérisoire que difficilement gagnée. Les enseignes qui illuminent de leur vulgarité criarde les trottoirs bondés de passants, simples curieux ou solitaires en quête d'oubli.
Dante laisse derrière lui la silhouette geignarde de l'imbécile qui a cru pouvoir doubler son patron. Il l'a délibérément amené ici. Il l'a enlevé à dessein de son terreau riche et lourd des beaux quartiers pour le planter dans le sol maigre et rude des quartiers populaires. Il voulait lui montrer qu'il est facile de tomber. De disparaître. C'est le message que Vittorio de Luca lui a demandé de faire passer. Dante pense avoir réussi sa mission.
Il prend son téléphone, s'assure en même temps qu'il a bien la clé USB contenant les infos recherchées par le patriarche dans sa poche, et appelle les secours. Pour que la leçon porte ses fruits, il faut que l'intéressé survive. Si la mort avait été le but de la mission de Dante, il ne se serait pas donné autant de mal.
Il sait se battre avec ses poings, jouer de la lame ou du flingue. Ce sont des compétences nécessaires lorsque l'on fait son métier. Et même s'il est encore jeune dans ce milieu – à peine 25 ans -, il a déjà acquis un niveau supérieur à celui de Luigi qui travaille pour les de Luca depuis 15 ans. Renzo le bat encore au combat à mains nues, mais uniquement parce que l'animal possède une stature hors norme dont il sait habilement jouer.
Le jeune homme sait donc neutraliser un adversaire de manière propre et silencieuse. Sans état d'âme non plus. Les états d'âme, c'est bon pour ceux qui ont quelque chose à perdre ou espérer. Il n'a plus rien à perdre, il n'a rien. Simplement. Et il n'espère rien non plus. Il vit, c'est tout.
Une fois l'appel effectué, Dante promène son regard dans la nuit électrique aux reflets jaune et rouge. Il sourit. Il est dans son monde. Dans son enfer. À sa place. Seul le patron sait comme il lui est parfois difficile de supporter la vie sans accroc qu'il lui a donné en le prenant sous son aile et en l'intégrant au clan.
Pourtant, il n'aurait repoussé pour rien au monde la proposition faite par de Luca plusieurs années auparavant. Même si le patriarche prétend avoir de grands desseins pour lui, travailler pour lui suffit amplement à Dante. Il ne cherche pas à obtenir plus de compensations que celles qu'il a obtenues en arrivant au sein du clan. Il est conscient que plus d'honneurs est aussi synonyme de plus d'emmerdes. Heureusement, le vieux n'a pas encore dévoilé ses plans. Dante reste donc à sa place. Obéissant. Mais il profite de chaque opportunité pour revenir ici. Dans son ancien royaume. C'est sa drogue. Il y a pire.
Il sort une cigarette et se la colle entre les lèvres en scrutant le trottoir d'en face. Il a un peu de temps devant lui. Gina doit être derrière son bar. Il va aller la saluer. Ça fait bien un mois qu'il ne l'a pas vue. Il espère encore la convaincre de le suivre, de quitter sa vie de merde et de profiter de ce qu'il lui propose depuis plusieurs années maintenant : une existence plus facile où le frigo est plein, et les factures payées en temps et en heure. Mais Gina a sa fierté. Il l'aime pour ça aussi. Parce qu'elle est mordante et orgueilleuse. Même si, dans ce cas précis, il aimerait qu'elle le soit moins.
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L'obstination d'Alice Baggersmith
ChickLitIl n'y a qu'une Alice Baggersmith. Et c'est heureux ! Le monde ne se relèverait pas s'il y en avait deux. Son obstination est légendaire, comme sa bonne humeur et son langage de charretier. On l'aime ou on la déteste. Au choix. Mais l'indifférence n...