Hans est un bon marcheur. Il parcourt régulièrement les sentes des montagnes qui environnent sa maison de famille en Allemagne. Pourtant, il peine à suivre l'italienne qui avance comme un général vers la bataille finale. Il ne s'attendait pas à un accueil aussi froid de sa part. D'habitude, il plaît aux filles. Et parfois même aux garçons. Mais cette Francesca était contrariée avant même de lui être présentée.
Il comprend un peu. Elle ne doit pas apprécier de se retrouver exposée comme l'objet d'une future potentielle transaction commerciale entre Vittorio de Luca et Arthur Fassbender. De nos jours, ça fait un peu vieux jeu. Mais si on y réfléchit bien, il est dans la même situation. Enfin presque. Son père lui a fait miroiter des récompenses à la hauteur du sacrifice consenti. Hans se doute que Francesca n'aura aucune compensation, sinon le « privilège » de l'avoir comme époux...
L'allemand accélère le pas et prend le bras de la jeune femme pour l'arrêter. Il doit mettre quelques petits détails au clair avant de rencontrer ses amis. Pas question pour lui d'être la cinquième roue du carrosse ou de se retrouver devant le vrai petit ami.
— Mlle de Luca, je vous en prie. Pourrions-nous discuter un moment ?
— Discuter ? Pourquoi faire ? Tout a été dit. Pas entre nous bien sûr. Entre votre père et mon grand-père. Alors à quoi bon perdre notre temps ?
— Apprendre à se connaître n'est jamais une perte de temps. Et si cet accord que vous semblez redouter, se réalise, il vaudrait mieux pour nous deux que nous nous trouvions quelques atomes crochus ? Je ne suis pas votre ennemi.
Elle le fixe en silence avec un certain dédain.
— Pas un ennemi, hein ? À partir du moment où vous jouez le jeu de mon grand-père, vous en êtes un.
— Je suis désolé. Je suis moi-même dans une situation délicate.
— Vous avez déjà quelqu'un dans votre vie ?
— Pas exactement.
— Alors en quoi la situation serait-elle délicate pour vous ?
— Il ne vous est pas venu à l'esprit que vous pourriez ne pas me plaire ? Que j'ai bien d'autres projets ? dit-il avec arrogance.
Il lui paraît nécessaire de rabattre le clapet à cette fille qui pense que l'épouser serait le plus beau cadeau qu'on pourrait lui faire.
— Ne... pas... vous plaire ?
Francesca éclate de rire au milieu de la rue en dégageant son bras d'un geste vif.
— Vous êtes vraiment très drôle, M. Fassbender. Ne pas vous plaire ! Ça n'est pas ce que vos yeux disent depuis que nous avons été présentés ! J'ai l'impression d'être la plus belle pièce de bœuf sur l'étal d'un boucher ! Ne pas vous plaire !? Cessez de me dévorer des yeux, et nous en reparlerons !
Et elle reprend sa marche vers le port. Hans est dépité. Il voit les épaules de la jeune femme, charmantes au demeurant, frémir sous le coup de son hilarité. Cette Francesca, bien qu'effectivement très appétissante, l'énerve de plus en plus. Il n'a pas dit son dernier mot.
— Vous êtes peut-être jolie, Mlle de Luca, mais manifestement vous ne serez pas un cadeau. J'estime donc que moi aussi, je serai lésé par un mariage. Pourtant, je suis prêt à accepter ce sacrifice pour le bien de l'entreprise familiale. Je suis prêt à faire des efforts parce que la bonne marche des affaires m'importe plus que mon petit confort personnel. Mais ça n'est manifestement pas votre cas.
— Vous me faites quoi, là ? Le grand chef d'entreprise qui, grâce à son sacrifice ô combien héroïque, va sauver les affaires familiales ? Comme s'il n'y avait pas d'autre façon pour conclure des alliances que de marier des gens qui ne s'aiment pas entre eux. Ce mariage m'est imposé pour me punir, M. Fassbender. Parce que je n'aime pas obéir et parce que je n'aime pas les hommes. Alors ? Toujours prêt à vous sacrifier ?
Automne ou pas, en cet après-midi ensoleillée, il y a un monde fou sur la promenade qui longe les remblaies rocheux. Bras dessus, bras dessous avec Paz, Alice marche lentement en discutant avec les garçons. Tous quatre mêlent leur langue maternelle à l'italien pour se faire comprendre. Cela donne une drôle de sonorité à leur conversation.
Francesca, qui leur a donné rendez-vous près d'un bar, est déjà là quand ils arrivent. Et ils comprennent tous très rapidement que la surprise dont elle parlait dans son message, est le grand type qui se tient derrière elle, bras croisé, visage fermé et regard lointain. Il a l'air bougon.
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L'obstination d'Alice Baggersmith
ChickLitIl n'y a qu'une Alice Baggersmith. Et c'est heureux ! Le monde ne se relèverait pas s'il y en avait deux. Son obstination est légendaire, comme sa bonne humeur et son langage de charretier. On l'aime ou on la déteste. Au choix. Mais l'indifférence n...