8/ Réunion d'urgence

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Francesca a séché son dernier cours du jour à la fac afin de trouver de l'aide auprès des colocataires d'Alice. La jeune anglaise lui a donné son adresse afin qu'elles puissent se donner rendez-vous plus facilement. Elles ont également échangé leur numéro de téléphone.

Face aux trois étudiants étrangers qu'elle ne connaît pas, Francesca a parlé de sa famille, de Dante Lombardi. Et aussi de cet « amour » que pense avoir l'anglaise pour le dangereux personnage. Il faut qu'ils l'aident à dissuader Alice de venir avec elle. Il le faut.

Sylvester fait les cent pas entre le divan et la petite cuisine ouverte. Son esprit nourri par une multitude de films et de livres, est empreint de préjugés sur les italiens. C'est pour cette raison qu'il est inquiet. Il est convaincu que la Mafia gangrène chaque petite parcelle de ce magnifique territoire. Et par un singulier paradoxe, ça l'effraie autant que ça le fascine. D'où sa constante et étrange résolution de se fondre dans cette masse étrangère à sa culture et s'y intégrer.

Toutefois, si son fantasme l'encourage à boire un café immonde et à se nourrir de plats de pâtes noires parsemées d'étranges mini-poulpes caoutchouteux, il trouve l'idée de s'imposer à la réunion de famille de Francesca de Luca assez stupide, pour ne pas dire dangereuse. L'italienne a dit que les de Luca étaient dans les « affaires ». Quelles affaires ? Selon lui, mieux vaut ne pas savoir si on veut conserver son intégrité corporelle et survivre. C'est évident.

Alice qui lit les journaux italiens avec application. Alice qui fait des études de sciences politiques avec passion. Alice qui ne manque jamais de creuser la moindre information trouvée. Alice devrait le savoir. Alice le sait. Alors pourquoi prendre un tel risque ? Pas pour cette Francesca. Il est évident pour tout le monde que l'italienne risque beaucoup plus à venir avec une amie à cette réunion de famille que seule. Non. Si Alice ne veut pas entendre parler de refus, c'est à cause de l'Apollon aux boucles brunes. Le bad guy au regard noir comme un puits sans fond. Ça ne va pas du tout !

Sylvester ne veut pas que ce sagouin d'italien lui abîme sa parfaite Alice. Il ne veut pas qu'elle ait le cœur brisé. Il ne veut pas la voir malheureuse... Mais comment faire pour que tout cela se passe en douceur ? Sylvester fait face à Francesca.

— Tu dois avancer ton départ. Comme ça quand Alice se pointera, tu seras déjà partie. Il sera facile de trouver une excuse.

— Oui. Oui. Tu as raison. Je vais faire ça. Tu as raison, dit Francesca en attrapant son téléphone. Elle s'en veut de ne pas y avoir pensé plus tôt.

— Stupido ! s'exclame Paz en se levant à son tour.

D'habitude, en présence de Sylvester, la jeune espagnole est troublée au point de ne pas pouvoir s'exprimer clairement. Mais d'habitude, la vie de l'une de ses amies n'est pas en jeu.

— Tu crois vraiment que ça va arrêter notre Alice ? Elle va se trouver un train, un bus, un âne, que sais-je, mais elle se trouvera un moyen de locomotion pour y aller quand même ! Tu la connais, non ? Elle trouve toujours un moyen. Et puis, de toute façon, tu crois vraiment que l'un d'entre nous pourra s'opposer à elle ! Sérieusement ! Elle est le capitaine du navire ! Pas un mousse ! À moins de l'attacher au radiateur...

— C'est pas faux, dit simplement Sylvester en fourrageant dans sa tignasse blonde, ce qui a le don de faire rougir immédiatement Paz qui se rassoit aussitôt.

— Puisqu'on est bien tous d'accord que l'on ne peut pas décemment attacher notre Alice à un radiateur et que rien ne l'empêchera de partir pour Porto Santo Stefano, je propose que nous l'accompagnions. On pourrait y aller indépendamment de Francesca et de son chauffeur. Comme ça, on garde un œil sur elle. Un week-end au bord de la mer, ça ne se refuse pas. Même s'il commence à faire frais.

Paz, Sylvester et Francesca ont tous les trois tourné la tête vers Pierre, assis nonchalamment dans l'un des confortables fauteuils du salon. Il affiche un petit sourire tout en tenant avec détachement une cigarette éteinte du bout des doigts. Il ressemble à un dandy du XIXème siècle avec sa petite barbe naissante qu'il entretient avec soin pour se vieillir. Ce qui ne fonctionne pas vraiment, en réalité. Enfin, selon Paz et Alice.

— L'idée n'est pas mauvaise, murmure Francesca pour elle-même. De ce que j'ai vu au café, Lombardi fera probablement tout pour l'éviter. Elle ne le verra pas. Et moi, je vous rejoindrai dès que possible pour vous faire visiter...

— Pierre, tu es génial ! s'exclame Sylvester.

— Je sais, dit ce dernier avec une grimace ironique.

— Je vais pouvoir bronzer un peu... mon italianisation est en marche ! s'écrie l'anglais en brandissant le poing vers le plafond.

— Je ne sais pas de quoi vous parliez, mais Sylvester, sans vouloir te casser la baraque, tu as la même peau que moi... en pire... Tu vas donc rougir comme le cul d'un babouin. Pas bronzer...

Alice est à l'entrée de l'appartement. Elle tient un sac de vêtements dans sa main gauche, tandis que de la droite, elle retire ses baskets.


L'obstination d'Alice BaggersmithOù les histoires vivent. Découvrez maintenant