6/ La fronde de l'héritière

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Le jeune homme qui s'est arrêté devant la table des étudiants, fixe un bref instant cette fille aux cheveux étranges qui rit aux éclats. Ne pouvant, et ne voulant pas savoir dans l'immédiat, ce qui provoque son hilarité, il se focalise sur son objectif.

— Mlle de Luca ?

— Lombardi. Qu'est-ce que vous foutez-là ?

— Je suis venu m'assurer que vous aviez bien eu le message de votre grand-père, vu que vous n'avez pas répondu, et vous donner, par la même occasion, rendez-vous ce soir. Je suis chargé de vous amener à Porto Santo Stefano, répond poliment, mais d'un ton froid, le dénommé Lombardi.

— Dès ce soir ?

— Oui. En effet. Je passe vous prendre à la fin de votre dernier cours de la journée.

— Mais...


Alice a observé son apollon avec beaucoup d'attention. Elle lui donne 25 ans. Peut-être un peu plus. Il parle comme quelqu'un qui a l'habitude qu'on le prenne au sérieux. Son costume impeccable le confirme. C'est un animal à sang froid. Un type qui se croit supérieur à eux parce que détenteur d'une force et d'une connaissance du monde que des étudiants n'ont pas. Et vu son regard sur elle, un type pétri de certitudes sur les femmes et élevé à coup de préceptes puants ancrés dans un patriarcat ancestral.

Alice a conscience qu'il va falloir déployer les grands moyens pour relever le défi que lui lance son cœur. Genre pelleteuse et bulldozer. Ça tombe bien, Elle a ce qu'il faut en réserve. Et en quantité. La force de la jeune fille est incommensurable. Surtout maintenant.

— Non, dit alors Alice d'une voix posée et tranquille.

L'anglaise croque dans sa gaufre aussitôt après avoir lancé sa petite bombe verbale. Dante Lombardi se tourne vers elle avec une lenteur délibérée. Ce dont elle a parfaitement conscience. Genre le type trop badass qui n'a pas l'habitude qu'on le contredise. Qui d'ailleurs n'a même pas envisagé cette éventualité.

— Pardon ?

— Non. Francesca ne peut pas vous suivre ce week-end. Nous avons un examen de groupe hyper important, et rien n'est prêt. Nous avons besoin d'elle, dit Alice.

— C'est malencontreux. Mlle de Luca ne peut se soustraire au rendez-vous qu'elle a ce week-end. La famille...

— La famille ne voudrait certainement pas la voir échouer à ses examens, non ? ajoute Alice en coupant Dante qui se penche brusquement vers elle en prenant appui sur la table.

Il se dégage de toute sa personne une aura sombre. Dangereuse. Mais Alice ne semble pas s'en formaliser. Elle lui fait un grand sourire bordé de sucre glace.

— Que les choses soient biens claires. Mlle de Luca va rejoindre sa famille ce week-end, pas parce qu'elle en a envie, mais parce qu'elle n'a pas le choix. Son grand-père requiert sa présence, alors elle rapplique comme tous les autres. J'ai la mission de la ramener, et c'est exactement ce que je vais faire. Personne ne se mettra en travers de mon chemin. Compris ?

Alice sourit toujours, feignant de n'avoir pas compris la menace. Elle lance un regard à Francesca qui est blême de rage contenue.

— Je vais venir alors ! J'imagine qu'elle ne va pas « voir » sa famille en permanence ! Nous travaillerons quand elle sera disponible. Comme ça tout le monde est content, dit-elle finalement en rapprochant son visage de celui de Dante.

Le jeune homme s'est redressé aussi brusquement qu'il s'était penché. C'est bien la première fois que Francesca voit de la surprise dans le regard de l'impitoyable homme de main de son grand-père. Dante Lombardi est déstabilisé par cette fille qui n'a pas peur de lui. Une première. Francesca se sent pousser des ailes. Et si...

— Oui. Elle pourrait venir. Après tout, grand-père ne m'a pas interdit d'amener des amis, dit l'italienne en fixant Lombardi dont le regard s'est encore durci.

— Mlle de Luca, gronde le bel italien.

— Lombardi ?

— Vous savez que vous allez au-devant d'ennuis très sérieux...

Francesca se contente de hausser les épaules. Lombardi fulmine mais n'ajoute rien. Il tourne les talons et sort du café.


Dante marche à grand pas, bousculant au passage un certain nombre de personnes qui ne se privent pas de l'injurier, à voix basse cependant. Personne n'est réellement prêt à affronter ce grand type au regard sombre, dont le visage ne reflète que la colère.

Le jeune homme est pourtant difficile à déstabiliser. Mais cette fille ! Quelque chose cloche chez cette fille ! Et elle sera dans la même voiture que lui, ce soir ! Il serre les poings. Il ne peut pas laisser faire. Il faut qu'il avertisse le patriarche du clan de Luca au plus vite pour clarifier la situation.

Francesca de Luca se rend-elle compte des risques qu'elle prend à contrarier son grand-père ? Sans parler des risques qu'elle fait prendre à cette fille ! Quoique... Après tout, vue son gabarit, il ne sera pas difficile de se débarrasser de son corps si on le lui demande.

À cette pensée, Dante sourit enfin, et plusieurs personnes s'écartent de lui ostensiblement, car son sourire carnassier le rend encore plus effrayant.


L'obstination d'Alice BaggersmithOù les histoires vivent. Découvrez maintenant