Alice n'a pas bien dormi. L'idée même d'aller courir le lendemain l'a tenue éveillée une partie de la nuit. Pas qu'elle ait peur de sortir de son cocon ! Au contraire ! Son épaule va beaucoup mieux et elle se sent pleine d'énergie.
Lorsque l'aube effleure à peine l'horizon, elle est déjà debout en tenue. Elle temporise quelques minutes pour finalement accepter l'idée qu'elle n'aura pas la patience d'attendre Sylvester qui est un lève-tard invétéré. Tant pis. Alice n'est pas le genre de fille à se laisser abattre, ni à se laisser emmerder par un barjot qui aime frapper les coureurs – parce que Salvano lui a bien précisé que les agressions concernaient des personnes des deux sexes-.
Elle met ses baskets et sort en dérouillant ses épaules et son cou. À peine la porte fermée, elle s'arrête stupéfaite.
Plongé dans son écran de téléphone, Dante Lombardi attend sur le pas de la porte de son studio. Il porte une tenue de sport : un pantalon de jogging, un simple tee-shirt et une paire de basket flambant neuves. Il tourne les yeux vers elle.
— Vous n'avez quand même pas cru que vous alliez partir courir seule ?!
— L'idée m'a traversé l'esprit, en effet. Et elle me plaît bien. Alors, vous pouvez remballer vos baskets neuves, je n'ai pas besoin de vous.
— Je ne vous demande pas votre autorisation.
— Ok. Je ne vous attendrai pas, je vous préviens, dit simplement Alice en se dirigeant vers les ascenseurs.
Ils courent depuis presque trois quarts d'heure. Alice respire et souffle, heureuse de retrouver son rythme. Heureuse de sentir son corps en action. Elle sent la présence du garde du corps derrière elle. Elle ne le reconnaîtra sans doute jamais, mais il la rassure. Finalement, elle avait une petite appréhension en sortant seule de l'appartement, et cet idiot lui permet de lever ce poids. Chaque foulée lui rend sa liberté. Chaque foulée la rapproche d'elle-même.
Bien loin de le remercier pour son initiative, Alice ne tient aucun compte de Lombardi. Pourtant, il souffre. Elle le sait à son rythme désordonné et à son souffle. Il a tenu bon la première demi-heure, mais maintenant, il s'épuise. Pas l'habitude de la course d'endurance. C'est un sprinteur. Il a dû cavaler pour rattraper des gens, pour se battre, mais il n'a jamais contraint son corps à l'effort sur du long terme. Il n'est jamais allé au bout de ses forces, au point d'en avoir la tête qui tourne. Enfin, jusqu'à maintenant.
Alice accélère un peu juste pour voir s'il va abandonner au bout du compte. Contre toute attente, il s'accroche. Il va même jusqu'à la rattraper. Il se cale dans sa foulée en restant juste derrière elle. Il est têtu. Il est prêt à tout pour ne pas céder.
Finalement, Alice s'arrête. Ils sont au pied de la Fortezza. Elle fixe le rempart qui s'élève devant elle. Elle ne peut retenir un frémissement avant de faire demi-tour. Mais un bras l'arrête.
— Non. Il faut que vous y alliez.
— Vous en voulez encore ?
— Il faut que vous retourniez dans la Fortezza.
— Pourquoi ? réplique-t-elle dégageant son bras.
Ce simple contact lui a rappelé comme elle aime le toucher. Mais il n'est plus question que cela arrive. Pas de son initiative en tout cas.
— Il faut remonter en selle quand on est tombé de cheval.
— Sauf qu'aucun équidé ne m'a fait tomber. Un pauvre type a voulu me balancer dans le vide et un autre m'a envoyé faire foutre royalement. Je n'ai pas peur. Je suis en colère.
Ils se fixent un long moment. Puis il hausse les épaules et lui montre le chemin qu'elle s'apprêtait à prendre. Alors, elle part aussi vite que possible. Elle ne suit pas son rythme, elle court pour le semer. Pour lui échapper. Elle compte sur le fait qu'il doit en avoir plein les jambes, qu'il est trop épuisé pour la rattraper.
Sauf qu'elle n'a pas encore appréhendé la propre colère de Dante Lombardi. Cette longue semaine de mise à l'écart. La pression concernant son travail. La conscience de ses fautes et de ses erreurs. Son incapacité à s'excuser. Son incapacité à reconnaître qu'il regrette les facéties de cette jeune femme alors même qu'il les a repoussées inlassablement. Son incapacité à céder face à elle qui est tellement plus forte que toutes les femmes qu'il a rencontrées jusqu'à présent.
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L'obstination d'Alice Baggersmith
ChickLitIl n'y a qu'une Alice Baggersmith. Et c'est heureux ! Le monde ne se relèverait pas s'il y en avait deux. Son obstination est légendaire, comme sa bonne humeur et son langage de charretier. On l'aime ou on la déteste. Au choix. Mais l'indifférence n...