L'obstination d'Alice Baggersmith

24/ Le nouvel enfer de Dante

Sylvester est abasourdi. Pierre pensif. Alice sautille de joie. Elle avait tellement peur que Francesca soit contrainte de disparaître de sa vie ! Mais non ! Son amie a réussi à convaincre son grand-père. Elle a trouvé une solution ! Et quelle solution ! Elle va faire partie de la colocation ! Elle va partager leur quotidien !

Un petite « ding » révélateur d'une notification sur le téléphone de Pierre annonce la réponse de Paz.

— Elle est d'accord. Et si j'en crois le nombre de smiley et de cœurs, elle est même enthousiaste, dit le français avec un petite sourire.

— Mais arrête de sourire ! Fuck ! La salle de bain va être encore plus pleine ! Et on va devoir supporter le gorille !

— Mon petit doigt me dit que nous serons la dernière de ses préoccupations.

Alice qui s'est mise à discuter avec Francesca sans s'inquiéter des récriminations de Sylvester, donne un petit coup sur le bras du français en souriant malicieusement.

Dante accuse le coup. Il a eu beaucoup de mal à ne pas exploser de colère quand Francesca a fait sa proposition à Sylvester. Vittorio de Luca ne l'a pas prévenu de l'idée de sa petite-fille. Il l'a laissé seul dans la fosse aux lions. Le jeune homme se demande brièvement si le patriarche n'a pas décidé de le punir finalement. Mais de quoi ? Dante a toujours accompli avec brio toutes ses missions pour le clan. Il n'a jamais trahi, n'a jamais échoué, n'a jamais désobéi... Alors pourquoi lui imposer cette situation ? Parce que ça n'est pas une situation ingérable pour un homme comme lui en temps normal ? Voilà ! Sans Alice Baggersmith dans le cadre, Dante ne se poserait même pas ce genre de questions. Il doit se montrer à la hauteur. Il le peut.

— En effet. Vous ne revêtez aucune importance à mes yeux. Du moment que vous vous tenez loin de Mlle de Luca, vous n'aurez rien à craindre de moi, réplique froidement Dante Lombardi d'une voix tranchante. Gardez vos distances et vous ne remarquerez même pas ma présence.

— Parce que vous croyez que vous êtes discret ?! Sérieux ! Vous avez la tête d'un mafieux dans un film américain.

— Peu importe mon apparence. Je ne suis pas là pour vous plaire, ni même satisfaire le fantasme de gamins stupides nourris aux « fish and chips » et à la bière ! J'ai une mission et j'entends la mener à bien.

— D'abord, je ne me nourris pas exclusivement de fish and chips ! Et pour votre gouverne, ça vaut bien vos linguine al polpo ! Et de loin ! Ensuite, la colocation a des règles et des conditions !

— Des conditions ? répète Dante en le fusillant du regard cette fois.

— Évidemment ! L'appartement n'a qu'une cuisine et qu'une salle de bain...

— Qu'une salle de bain...

— Ah ! Je savais qu'il y aurait un problème ! Mlle de Luca, votre gorille va faire des manières !

— Je crois surtout que vous cherchez à le mettre hors de lui. Ce qu'aucun d'entre nous n'a envie de voir, Sylvester Rainford, s'exclame Francesca en se plaçant entre les deux hommes.

Alice éclate brusquement de rire, et Pierre n'est pas loin de l'imiter.

— Quoi ?! s'exclame Sylvester en les regardant.

— Syl ! Tout va bien se passer. Ok ?! Mais c'est ton appartement. Alors si tu ne veux pas que Francesca et M. Lombardi viennent vivre avec nous, ils ne viendront pas, dit Alice en enlaçant l'anglais sans façon.

— Tu sais parfaitement que je ne peux pas résister à un câlin de ma « frangine » préférée.

— Vous êtes de la même famille ? s'exclame Francesca.

— Pas du tout, dit Alice en souriant.

— Mais comme je n'envisage pas de faire d'Alice ma petite amie, que je ne peux pas prétendre être son père, mais que je veux avoir un soupçon d'influence et d'autorité sur elle, j'ai décidé qu'elle serait ma petite sœur.

— Elle a le même âge que toi, dit Pierre.

— C'est ma jumelle. Plus jeune de quelques secondes...

Francesca ne peut s'empêcher de rire.

— Une jumelle... Ok. D'accord. Mais à mon avis, M. Rainford, c'est elle qui a de l'autorité sur vous.

— Attendez de vivre avec elle, et nous reparlerons de votre libre-arbitre. Paz a raison. Alice est le capitaine du navire.

— Douchebag ! Je ne suis pas du tout la chef !

— Non, mais on aime bien te suivre. Tu illumines le chemin, sorella mia !

Le « sorella mia » dit avec un accent anglais fait rire Alice qui se blottit de nouveau dans les bras de Sylvester qui en profite pour tirer la langue à Dante qui n'a pas bougé de sa place.

Des gamins, pense aussitôt l'italien. Il va devoir s'accommoder de vivre avec des gamins... Cazzo !

— Vous parliez de conditions, reprend Francesca pour recentrer la discussion après avoir vu les poings de Lombardi se serrer de manière dangereuse.

— Les conditions de notre colocation sont les suivantes : Karaoké tous les samedi soir sauf cas de force majeure. La liste est fluctuante concernant ces forces majeures. Respect des plannings de la salle de bain, de la cuisine et des taches communes. Éviter autant que possible de s'exhiber nu dans les parties communes de l'appart. Quoique pour cette dernière condition, je veux bien faire une exception pour M. Lombardi... dit Alice en souriant à l'intéressé.

Cette fois s'en est trop. Le jeune homme part à grandes enjambées en faisant claquer la porte de la maison.

— Pierre, je crois que nous allons devoir protéger le garde du corps ! Sinon notre Alice ne va en faire qu'une bouchée ! C'est un comble !