40/ Esprit vagabond et saut de l'ange

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Dante regarde la voiture quitter le parking sur les chapeaux de roue. Il est satisfait. Il a obtenu ce qu'il cherchait. L'adresse du dealer.

— Va falloir travailler votre attitude, M. Lombardi. Je sais bien que ça fait partie du boulot... mais quand même... il n'y avait pas d'autre moyen de faire parler ce type ?

Dante se retourne lentement. Il se demande aussitôt depuis combien de temps l'anglaise est là. Il se demande aussi ce qu'elle fiche là. Et puis, il voit sa tenue : casquette noire, short jaune fluo, tee-shirt rose pétard, basket de running usées. Elle est en sueur. Elle ne ressemble à rien. Comme d'habitude, aurait-il envie de penser. Mais ça n'est pas la vérité. Parce qu'en réalité, s'il n'avait pas besoin de la repousser sans cesse, il la trouverait sans doute agréable à regarder, pour ne pas dire sexy, parfois. Parce qu'il se dégage de toute sa personne un éclat attirant et inexplicable pour lui.

Il se reprend et porte sa main à sa tête. Mais qu'est-ce qu'elle fout là ?! Il soupire et ne répond rien. Il se contente d'aller jusqu'à sa propre voiture et d'y entrer. Il met le moteur en marche et jette un œil dans le rétro. Il voit alors la jeune femme sourire. Elle ne se fâche pas, ni ne court après lui. Elle se contente de reprendre le chemin qui mène à la Fortezza.

Dans un réflexe inconscient, Dante lève alors les yeux vers les remparts et aperçoit une silhouette qui disparaît. Quelqu'un les observait, il en mettrait sa main à couper.

Il hausse les épaules. Personne n'en veut à Alice Baggersmith. Et son job, c'est de protéger Francesca de Luca, pas cette anglaise insupportable!


Alice s'est remise à courir. La pause lui a fait du bien. Non. C'est d'avoir vu Dante qui lui a fait du bien. Comme toujours. Même s'il n'a rien dit. Même s'il a paru mécontent de la voir, comme d'habitude. Il ne se rend pas compte qu'il est trop mignon quand il est en colère. Elle adore. Bon, elle aime aussi quand il ne l'est pas. En fait, elle l'aime tout le temps, cette andouille !

La jeune femme entend un autre coureur arriver derrière elle et lui laisse le passage en se déportant sur la droite, car il arrive vite, et elle ne veut pas le gêner. Elle respire à fond en souriant. La journée s'annonce radieuse malgré le froid vif de l'automne finissant. Elle est heureuse.

Alice n'anticipe pas le coup violent qui la projette sur la pierre usée du rempart, lui coupant brutalement le souffle du même coup. Elle voit le sol si loin en contrebas, mais n'a pas le temps de paniquer. Deux bras l'empoignent et cherchent à la faire basculer dans le vide. Sa gorge est muette. Sa parade inexistante. l'attaque est trop rapide.


Le marathonien sent une main puissante enserrer son cou et le pousser violemment contre l'arbre le plus proche. Le choc est si brutal qu'il perd vaguement connaissance. Il ne voit pas son assaillant se précipiter sur le rempart sans plus se préoccuper de lui. Il ne le voit pas attraper le bras d'Alice Baggersmith alors qu'elle finit de disparaître, happée par le vide.


Le choc est rude, mais la poigne est ferme. Alice lève le visage vers le propriétaire de la main providentielle. L'inconnu lui tend son deuxième bras. Elle l'attrape et se hisse sous l'effet conjugué de leur double effort.

Lorsqu'Alice reprend pied sur le sol de la Fortezza, son sauveur ne peut que constater la disparition du marathonien. Seule trace de son existence, une marque ensanglantée sur le tronc de l'arbre, et le bandeau blanc rayé de rouge qui gît sur le sol.

— Ça va aller ? demande l'inconnu à Alice qui tremble de tous ses membres sans pouvoir rien contrôler.

— Je crois, chevrote-t-elle.

— Vous avez un téléphone ? Vous pouvez appeler quelqu'un ?

— Quelqu'un ? Quelqu'un ? Oui, je peux... je peux faire ça.

— Asseyez-vous. Vous êtes sous le choc. Votre bras ? Ça va ? Montrez-moi, dit l'inconnu en lui prenant le bras d'autorité voyant qu'elle ne réagit pas.

Dans un réflexe dicté par son instinct de survie malmené, elle s'écarte vivement de lui et met de la distance entre eux. Qui lui dit que ce n'est pas lui qui a tenté de la balancer dans le vide ? Elle n'a rien vu. Ou presque.

— Je comprends, dit l'inconnu en sortant un étui noir de sa poche de veste avant de continuer. Ça va aller. Je vais appeler les secours. Je m'appelle Giuseppe Salvano. Je suis policier, finit-il en lui montrant sa plaque.

Alice le regarde alors pour la première fois réellement. Policier ? Avec ses cheveux en bataille, ses petites lunettes et sa silhouette filiforme, ce type a plus l'allure d'un psychiatre, pense-t-elle avant de s'effondrer sur le sol.


L'obstination d'Alice BaggersmithOù les histoires vivent. Découvrez maintenant