— Assis.
L'ordre est clair, et Alice ne se fait pas prier. Bien que la situation ne soit pas des plus idyllique, son cœur explose de se retrouver seule avec l'objet de son attention dans une pièce fermée. Elle sourit béatement alors qu'il s'assoit à califourchon sur une chaise, face à elle.
— Calmez votre joie. On est là pour affaire.
— Pour affaire ?
— Dites-moi exactement tout ce dont vous vous rappelez, dit-il en prenant son smartphone.
Alice sourit toujours en s'exécutant. L'un n'empêche pas l'autre.
— Vous êtes sûre que l'agresseur est ce type qui vous a aidé un peu avant.
— Un bandeau pareil, c'est pas commun. Ça fait très 20ème siècle...
— Et alors ? On peut en dire autant de vos fringues. Ça ne veut pas dire que c'est rare.
— Vous avez remarqué comment je m'habillais ?
— Mal, en général, réplique Dante en se replongeant dans son téléphone.
Il a noté tout ce que la jeune femme a dit. Comme Salvano quelques heures auparavant. Ce détail aussi, il l'a noté. Même si le fait que les flics s'en mêlent ne le gêne pas - il est sûr d'aller plus vite qu'eux -, il n'a pas apprécié la manière de parler d'Alice quand elle a décrit Salvano et son intervention. C'est comme s'il avait été un super-héros. C'est sûr que comparé à lui... il grogne pour lui-même et remarque qu'Alice ne dit plus rien. Il lève les yeux sur elle.
— Vous saviez que vous avez une petite ride juste là, qui se creuse quand vous êtes contrarié ? dit-elle en posant son doigt juste entre ses deux sourcils.
La ride se creuse encore plus. Il va pour chasser le doigt qui s'attarde et descend le long de l'arcade sourcilière, mais se retient. Il se demande depuis combien de temps quelqu'un n'a pas eu un geste aussi tendre envers lui. Cet effleurement fait vibrer quelque chose d'enfoui. Sauf qu'il ne veut pas remuer la vase du marais. Même pas pour en extirper un trésor. Il attrape le poignet de la jeune femme et écarte la main de son visage.
— Quelqu'un essaie de vous tuer, et vous n'avez rien d'autre à faire que persister dans une voie qui ne vous mènera jamais nulle part ?
— Aucune voie n'est sans issue, Dante Lombardi. Et ça n'est pas la première fois que je frôle la mort.
La voix d'Alice n'a pas tremblé. Ses yeux sont fixés sur le jeune homme et ne cillent pas. Une seconde fois, Dante découvre que l'attitude joviale et frivole de la jeune femme n'est qu'une façade. Il ne dit rien et attend la suite... qui ne vient pas. Au lieu de parler, Alice s'est penchée vers lui.
— Est-ce que c'est de la curiosité que je lis dans vos yeux, M. Lombardi ?
— Absolument pas. Je me fiche de votre vie.
— Alors pourquoi ces questions ?
— Si votre agression est liée à celle de Francesca, je dois étudier toutes les pistes.
— La police va s'en charger. Ce Giuseppe Salvano a l'air très compétent.
L'assertion d'Alice est ponctuée par un ricanement de Dante.
— Quoi ? Vous le connaissez ?
— En général, la police est ... dépassée...
— Pas toujours. Et entre nous, Salvano m'a sauvé, lui... lance Alice en se levant pour sortir.
Le niveau de colère de Dante jusqu'alors assez stable, est monté en flèche avec la dernière phrase d'Alice.
— Je ne suis pas payé pour vous protéger.
— C'est vrai. J'attendais que vous le fassiez gratuitement, réplique-t-elle en ouvrant la porte. J'ai eu tort, manifestement.
Lorsqu'elle referme doucement la porte derrière elle, Alice se rend à l'évidence. Elle a échoué. Malgré la peur et la douleur causées par l'agression, elle avait espéré un sursaut du cœur de Dante. Au lieu de quoi, il avait été odieux et désagréable. Tout était très clair. Il ne l'aimait pas. Il ne l'aimerait jamais. Elle n'était pas son genre. Le mettre plus en colère ne servirait à rien. Tenter de l'amadouer non plus.
C'est la première fois qu'Alice ressent cette sensation d'éclatement du cœur. Pourtant, elle ne s'effondre pas, ne pleure pas. En fait, elle est en colère. Et il n'est jamais bon de mettre en colère une Alice Baggersmith. Dante Lombardi va l'apprendre à ses dépens.
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L'obstination d'Alice Baggersmith
ChickLitIl n'y a qu'une Alice Baggersmith. Et c'est heureux ! Le monde ne se relèverait pas s'il y en avait deux. Son obstination est légendaire, comme sa bonne humeur et son langage de charretier. On l'aime ou on la déteste. Au choix. Mais l'indifférence n...