45/ Le patriarche déconcerté

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Lorsque Vittorio de Luca raccroche, il reste un instant les yeux dans le vague.

— Quelque chose te tracasse ?

L'homme qui s'est adressé à lui a le même âge et a grandi dans son ombre. Un cousin éloigné, trop doué pour ne pas exploiter ses compétences, notamment juridiques, puisqu'il est avocat. Il s'appelle Ettore Bagliardi, et est devenu avec le temps, le meilleur, sinon le seul, ami de Vittorio.

— Oui et non. J'ai eu Francesca hier et elle m'a fait comprendre clairement que si elle accepte la présence de Dante, le moment venu, il disparaîtrait de sa vie sans regret. Elle veut en revanche que son amie anglaise reste à ses côtés. Elle veut, à plus long terme, en faire son assistante. Ce qui me parait... incongru. Et aujourd'hui, Lombardi, après avoir fait son rapport, valide la décision de Francesca. Quelque chose ne va pas.

— Tu t'attendais à quoi ? Tu sais bien que Francesca n'aime pas les hommes ! Tu ne comptais pas les marier quand même !

— Bien sûr que non... ce serait contraire à...

Vittorio s'arrête avant d'achever sa phrase. Personne ne sait que Dante est son petit-fils. Personne ne doit savoir. Pas encore.

— Ce que je voulais, c'était monter une équipe. Un duo gagnant. Je sens que c'est possible entre eux. Ils ont la même détermination concernant l'entreprise. À eux deux, ils cumuleront force et intelligence. L'entreprise sera entre de bonnes mains.

— Encore faut-il qu'ils s'entendent. Peut-être ont-ils simplement besoin de temps ?

— Non. Le problème est ailleurs. Le problème vient du cœur.

— Du cœur ?

— Celui trop fermé de Dante et celui trop ouvert de Francesca. Et ce problème s'est cristallisé autour d'une unique et même personne. L'anglaise.

— Alice Baggersmith. Je vois. Je mets un enquêteur pour compléter l'enquête de routine, dit Ettore en consultant son téléphone... L'enquête sera simple. Elle ne cache pas grand-chose de sa vie privée, finit-il en montrant le compte Instagram trouvé en deux secondes.

Vittorio s'empare du smartphone et commence à faire défiler les publications antérieures d'Alice. Il s'arrête bientôt.

— Quand je dis que quelque chose cloche, dit-il en redonnant l'appareil à Ettore.

Bagliardi regarde l'image affichée. C'est une photo volée de Dante que l'anglaise a intitulée simplement « L'apollon des enfers » sans rien ajouter de plus. L'italien y est adossé à un mur. Il fume une cigarette, l'œil sombre et la mine contrarié.

— Et bien ! Cette gamine n'a pas froid aux yeux. Même à moi, il fiche la frousse, ce môme.

— Ça n'est plus un môme depuis longtemps.

— Mais si. Au regard de notre grand âge.

— Tu as raison, dit finalement Vittorio en souriant. Cette gamine n'a pas froid aux yeux et je crois que c'est ce qui énerve son « Apollon ».

— J'ai du mal à imaginer Lombardi en colère à cause d'une femme. Doit-on réellement s'inquiéter ?

— Aucune idée pour le moment. Peut-être que la situation se dénouera toute seule. Sinon, j'aurais sans doute besoin de tout ce tu trouveras sur cette fille.

— Ok. Et concernant la mission en cours ?

— Le « môme », comme tu l'appelles, a réussi à remonter une piste intéressante. J'espère que ce sera payant. Je veux que Francesca finisse ses études sereinement sans craindre la mort à chaque coin de rue.

— Tu t'en veux de l'avoir mise dans cette situation.

— Un peu. Mais il fallait commencer maintenant à la former.

— Tu sais que je suis d'accord avec toi, mais d'autres manifestement non.

— Il n'y a pas « d'autres ». Je suis convaincu qu'il n'y a qu'un seul ennemi.

— En parlant d'ennemi. Le cas de ton dernier fils est sur le point d'être réglé. La fille a signé une déclaration pour le moins évocatrice de ce qu'elle fait avec Battista. Je la garde sous le coude ?

— Oui. Je m'occupe du reste.


L'obstination d'Alice BaggersmithOù les histoires vivent. Découvrez maintenant