53/ Intérêts convergents

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Adossée à la porte fermée, Francesca constate sans surprise que le reste de la collocation l'attend dans le salon. Les chambres sont bien insonorisées, mais elle se souvient d'avoir crié avant que la porte du studio ne se soit fermée. Sa voix porte. Et puis certaines choses ne peuvent se dissimuler. Comme le déferlement de colère qui ravage tout dans le studio à cet instant précis.

Pierre et Paz occupent un canapé, enroulés dans leur couette respective. Sylvester qui est assis dans un fauteuil, porte juste un bas de jogging qu'il a dû enfiler à la hâte. Au début de leur cohabitation, il s'est vanté de dormir nu comme un ver. Alice est assise en tailleur sur le comptoir de la cuisine. Elle porte un marcel blanc sur un shorty. Dans la pénombre du salon, le menton dans ses mains, elle a l'air d'un garçon.

— C'est quoi, cette fois, dit Sylvester avec hargne. Qu'est-ce qui lui prend à l'Apollon ?!

— Rien. Rien qui vous concerne. Problème familial.

— C'est réglé ? Parce que ça a pas l'air... demande Pierre en baillant à s'en décrocher la mâchoire.

— Oui. Enfin non. Mais on ne peut rien faire à ce stade.

— C'est grave ? demande alors Paz avec une petite mine en fixant la porte fermée du studio contre laquelle quelque chose vient sans conteste de se fracasser.

— Allez vous coucher ! C'est bon. Il doit... Il doit digérer quelque chose... On ne peut rien faire. Moi y compris. Je me prend une tisane et je vais me coucher, dit Francesca en se dirigeant vers la bouilloire évitant le regard d'Alice qui n'a ni bougé, ni parlé. Francesca attend que les autres aient rejoint leur chambre pour poursuivre.

— C'est bon, Alice. Tu peux y aller aussi. Il s'agit d'un truc perso avec Dante.

— Un truc qui concerne ton secret ?

— Oui. Ça participe. Ça confirme aussi que mon grand-père est un bel enfoiré.

Alice laisse pendre ses jambes devant l'une des colonnes de tiroir. Elle est pensive.

— Il va falloir qu'on en parle, si tu veux arriver à dormir. T'as pas un exam demain ?

— Tu penses à tout, hein ?! Je vais prendre un truc pour dormir.

— Hé ! Tu préfères une drogue à une discussion constructive avec ta meilleure amie.

— Ah ! Parce que tu es ma meilleure amie, maintenant ? dit malicieusement l'italienne en souriant dans la vapeur de sa tisane.

— Francesca ! Tu me blesses ! Moi qui pensais devenir indispensable !

— Indispensable ?!

— J'aurais eu une raison de rester quand mon temps ici aurait été achevé.

Le cœur de l'italienne se serre. Elles sont vraiment sur la même longueur d'onde toutes les deux.

— Justement, puisque tu en parles...

— Tu veux que je reste ? Dis oui ! Dis oui ! s'exclame Alice en battant des jambes frénétiquement.

— Bien sûr que je veux que tu restes. Mais on en reparle après les exams. Ok ?

— Ok ! approuve Alice en tapant dans la main de son amie qui rejoint sa chambre.

Le vacarme s'est arrêté dans le studio. Tout est calme maintenant.

La jeune anglaise reste seule dans la pénombre de la cuisine. Son visage est tourné vers les fenêtres, et son regard s'abîme dans les lumières de la ville. Elle songe qu'elle a lancé son idée de rester en Italie comme ça, mais qu'elle exprime un vrai désir. Elle ne veut pas partir en décembre. Elle veut rester. Et pas seulement pour cet imbécile de Lombardi.

Une fois son diplôme en poche, elle a envie de travailler dans le conseil. Elle veut améliorer le monde à sa manière. Aider à rendre les choses plus claires. Et pourquoi pas plus joyeuses ? Elle n'a pas envie de retourner en Angleterre, même si elle n'y a pas que des mauvais souvenirs. Elle en a même beaucoup de bons. Mais quelque chose lui dit que son avenir est ici. Pas là-bas.


L'obstination d'Alice BaggersmithOù les histoires vivent. Découvrez maintenant