Dante se tient immobile dans un coin de la grande pièce qui sert de salon à la maison de Vittorio de Luca. Placée sur les hauteurs du Mont Argentario, la villa dispose d'une vue imprenable sur la ville en contrebas et sur la mer. Les portes fenêtres sont toutes largement ouvertes sur le jardin en espalier qui suit la pente du mont, pour que l'air frais dissipe la chaleur étouffante qui semble peser sur l'assemblée en ce début d'après-midi.
L'automne s'annonce particulièrement clément. Un été indien dont profitent touristes et locaux en envahissant le port et les plages. Mais seuls les plus courageux vont jusqu'à se baigner. De manière incongrue, Dante se demande si Alice Baggersmith compte affronter les eaux froides de la mer Tyrrhénienne. Il ne va pas jusqu'à l'imaginer en maillot de bain. Il n'en a pas le temps.
Vittorio de Luca vient de finir son petit discours pour remercier tous les membres de la famille d'être venus aussi nombreux. Il ne donne aucune raison et personne n'en demande. Même pas Battista, son dernier fils encore vivant. 50 ans et une tête de faux-jeton que tout le monde craint.
Battista est celui qui héritera de tout à la mort du vieux. Même s'il n'en dit rien, Dante sait que Vittorio aurait préféré que ce soit Rafaele ou même Alberto, ses deux autres fils, qui prennent la tête de l'entreprise. Mais tous les deux ont disparu. Il ne reste d'eux que leur veuve et leurs enfants. Eva avec Luigi, 10 ans, Laria et Olivia, les jumelles de 20 ans. Santina avec Francesca, 22 ans, et Gabriele, 15 ans. Battista veuf depuis 10 ans, a un héritier, Gregorio, 14 ans, un gamin à problème qui se prend pour le caïd de son école. Il est à l'image de son père, vantard et arrogant.
Ensuite, il y a les oncles, tantes, cousins et cousines plus éloignés. Frères et sœurs de Vittorio ayant engendré une progéniture vaste et industrieuse. Et puis, il y a les invités. Des types aux mines sombres, accompagnés ou non. Ils se ressemblent tous. Sauf celui qui discute avec Vittorio aussitôt le discours achevé. Le type est plus grand que la moyenne. Blond comme les blés dans cette assemblée de têtes majoritairement brunes. Accompagné d'une femme insipide et d'un jeune homme au regard lointain, fidèle image de son père en plus jeune.
— Francesca ! Cara mia !
À cette interpellation, la jeune femme se raidit sous le regard consterné de sa mère. Santina n'a jamais compris l'aversion de sa fille pour sa propre famille. Tout comme elle ne comprenait pas les récriminations de son époux contre Vittorio, quand il était vivant. Francesca tient beaucoup plus de son père que d'elle.
— Grand-père, répond la jeune femme en s'inclinant respectueusement.
— Je voulais te présenter à Hans Fassbender. Il est le fils unique de mon collaborateur le plus précieux en Allemagne. Il a à peu près ton âge. Je me disais que vous pourriez faire connaissance en allant vous promener du côté du port. Je me suis laissé dire que tu y avais invité des amis. Tu pourrais l'emmener avec toi.
Tout est dit. Francesca sait à quoi s'en tenir. Si Hans plaît suffisamment à Vittorio, il sera son futur époux qu'elle le veuille ou non. À moins que le jeune homme ne préfère l'une de ses cousines. Mais bon, vu les robes horribles dont les a affublées Eva, leur mère, elles ne risquent pas d'attirer l'attention de ce Hans Fassbender qui la fixe déjà avec beaucoup trop d'attention à son goût. Comme Francesca s'en doutait, cette réunion de famille ne déroge pas à la règle.
Sauf que pour punir sa petite fille de n'être pas venue seule ce week-end – Merci Dante Lombardi d'avoir cafté, d'ailleurs ! -, Vittorio lui impose le prétendant pour l'après-midi. Francesca serre les poings et les dents, mais ne tombe pas dans le piège. Si elle regimbe maintenant, Vittorio a sans doute prévu pire.
— Bien sûr, grand-père. Je vais lui faire découvrir les merveilles de notre petit coin de paradis, dit-elle avec un sourire aussi faux que ses paroles.
Vittorio de Luca s'est approché de Dante en suivant des yeux sa petite-fille qui entraîne à sa suite l'allemand.
— Lombardi. Vous les suivez et vous vous assurez que tout se passe bien. Demain, j'aurais une conversation avec Francesca au sujet de son avenir. Et avec vous aussi.
— Une conversation, Monsieur ?
— Pas maintenant Lombardi. Demain. Allez...
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L'obstination d'Alice Baggersmith
ChickLitIl n'y a qu'une Alice Baggersmith. Et c'est heureux ! Le monde ne se relèverait pas s'il y en avait deux. Son obstination est légendaire, comme sa bonne humeur et son langage de charretier. On l'aime ou on la déteste. Au choix. Mais l'indifférence n...