10/ La tour et le fou

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— Mlle Baggersmith ne vient pas, finalement ? demande Dante sans la moindre intonation dans la voix en attrapant le sac de Francesca pour le mettre dans le coffre de la voiture.

— Comment connaissez-vous son nom ?! s'exclame Francesca, étonnée, avant de hausser les épaules. Oh, peu importe...

— Je suis payé pour me tenir informé.

— Pour vous tenir informé et pour faire les basses besognes.

— Il n'y a pas de basses besognes, Mlle de Luca. Il y a juste du travail que personne n'est prêt à faire à ma place.

— Vous allez me faire pleurer ! Comme si vous n'aimiez pas essuyer derrière mon grand-père ! lance Francesca se dirigeant vers la portière arrière.

Pas question pour elle de se mettre à côté de ce type. Mais la portière se referme brutalement avant qu'elle n'ait réussi à l'ouvrir complètement.

Dante se tient très près d'elle. Il a le visage fermé et la mâchoire crispée.

— Mlle de Luca, j'ai promis de rester correct et poli avec vous. Toutefois, on ne m'a pas expressément interdit de vous neutraliser. Alors si vous ne voulez pas vous retrouver bâillonnée et enfermée dans le coffre, vous feriez mieux de changer de ton. Et ne vous imaginez pas que l'on me sanctionnera pour ça. Votre grand-père est particulièrement en colère contre vous. Et pas seulement à cause de cette enquiquineuse d'anglaise.

Francesca ouvre la bouche pour répliquer qu'elle était prête à payer pour voir, mais quand elle voit le sourcil levé du jeune homme, elle change de stratégie. Elle a une autre carte en main. Une carte qu'elle a hâte de tester.

— En parlant d'Alice, elle vient. Mais pas avec nous. Elle a choisi de rejoindre Porto Santo Stefano par ses propres moyens... avec ses amis.

— Vous voulez dire qu'elle vient avec les étudiants de sa colocation ?

— C'est ça. Ils viennent me soutenir et profiter de la mer par la même occasion... des objections ? Mon grand-père aurait-il émis un interdit sur le déplacement de touristes étrangers dans notre charmante ville ? À moins que l'objection ne vienne de vous ?!

Dante ne répond rien. Il se contente de se placer derrière le volant. Vittorio de Luca lui a bien fait comprendre que Alice Baggersmith n'avait aucune importance. Que sa petite-fille pouvait bien amener avec elle son « amie » du moment, ça ne changerait rien au but de sa visite. Lombardi n'est pas d'accord avec ça. Il pressent que cette Alice est bien plus qu'une fille qui intéresse Francesca. Parce qu'elle l'intéresse. Il l'a bien vu au café, la façon qu'elle a de la regarder. La question qui se pose concerne Alice elle-même. A-t-elle des sentiments pour Francesca de Luca comme elle l'a sous-entendu ? Ou se sert-elle d'elle pour atteindre quelque chose d'autre ? Et le plus grand mystère : qu'est-ce qui fait qu'elle n'a pas peur de lui ?

Dante soupire. Tout ceci n'est pas de son ressort. Il a fait son rapport, donné ses impressions. Et on lui a signifié qu'il n'avait pas à s'en soucier. Avec un peu de chance, le patriarche lui assignera une autre mission dès son arrivée à Porto Santo Stefano, et il ne reverra ni Francesca, ni Alice de sitôt.


Il jette un œil dans le rétro pour s'assurer que sa passagère a bien mis sa ceinture. Francesca regarde par la fenêtre en silence. Que la jeune femme ne l'aime pas, ne le dérange pas. Il n'est pas là pour se faire apprécier d'elle. Son rôle se borne à la ramener en vie à son grand-père, et dans les plus brefs délais. Pourtant, il comprend sa colère.

Appartenir à un clan n'est pas simple. Encore moins quand on est une femme. Francesca est l'une des héritières de la fortune de Vittorio de Luca, promise à un mariage arrangé selon les désirs du patriarche, car il ne laisse le choix à aucune des femmes de cette famille.

Francesca, comme ses cousines, est vouée à devenir une assurance pour le renforcement de liens commerciaux ou financiers. Elle sera sans doute, un objet des plus convoitée, car en plus d'être intelligente, elle est très belle. Vittorio de Luca à néanmoins deux problèmes non négligeables avec elle.

D'abord, Francesca a hérité du caractère de son père : Alberto, mort dans la fleur de l'âge dans des circonstances assez obscures. Comme son père autrefois, Francesca n'a pas peur de s'opposer au patriarche. Et enfin, elle n'a jamais caché qu'elle préférait les femmes. Elle l'a même annoncé avec beaucoup de morgue à un repas de famille, espérant sans doute ainsi en être bannie.

Le résultat n'avait pas été à la hauteur de ses espérances sans doute. Vittorio de Luca s'était montré magnanime. Depuis, il lui cherchait activement un mari. Elle pouvait bien préférer ce qu'elle voulait, il ferait d'elle l'objet d'une transaction fructueuse. À elle de s'arranger avec sa position inamovible et capitale. Elle est une tour dans la partie complexe que joue son grand-père sur l'échiquier de l'existence.


Francesca pense à Alice. L'anglaise semble si déterminée ! Comment peut-elle être aussi sûre de ses sentiments ?! Dante, l'homme de sa vie ! Comment Dante Lombardi pourrait-il être l'homme de la vie de quelqu'un ? Sincèrement ! Parce que si Francesca ne l'a jamais vu à l'œuvre, elle en sait suffisamment sur les affaires de sa famille pour reconnaître l'évidence. Bien qu'il n'ait que 25 ans, Dante Lombardi est un meurtrier à sang froid. Un sociopathe de la pire espèce aux ordres d'un tyran. Un fou, la pièce la plus dangereuse de l'échiquier selon elle.


L'obstination d'Alice BaggersmithOù les histoires vivent. Découvrez maintenant