— Lombardi ! Où est le dossier sur le...
Francesca s'est arrêtée en ouvrant la porte de la chambre de son garde du corps. Elle n'a pas frappé. Elle n'avait pas songé qu'éventuellement, il pourrait ne pas être seul. Grossière erreur. Une tête brune méchée de bleu fluo émerge de la couette, tandis que le jeune homme, excédé, pose sa main sur son visage en grognant.
— Hum. Je ne savais pas que...
— Non. Vous ne saviez pas... comme les autres... pas moyen d'avoir un peu d'intimité dans ce foutu appart. Quant à la solitude, autant vouloir la lune.
— Ok. Bon. Je me fous de la pouf que vous avez ramassée hier soir. Par contre, il me faut le dossier. J'ai prévu de travailler dessus aujourd'hui. Je n'ai pas trop de boulot pour la fac.
— Il est sur le bureau. Clé rouge sang, dit Dante en montrant le plateau de bois posé sur deux tréteaux qui supporte un ordinateur portable et un pot repli de clé USB.
Francesca s'empare de celle qu'elle est venue chercher et s'apprête à sortir quand le jeune homme l'interpelle.
— Ce soir, je ne suis pas là.
— Pardon ? dit la jeune femme en reculant vers le lit. Pas question de vous défiler !
Depuis quinze jours, ils cohabitent avec les étudiants Erasmus. Il a subi stoïquement les questionnements de Sylvester sur sa profession, les conversations de Pierre et Paz sur des sujets qu'il ne maîtrise pas forcément, et bien sûr, les attentions évidentes d'Alice. Il n'a jamais eu autant d'interaction sociale en si peu de temps. L'adaptation est un peu plus complexe que prévu. C'est évident. Le summum ayant été atteint la veille. À l'évocation du karaoké du samedi soir, la carapace de Lombardi s'était fissurée. Il était sorti discrètement une fois tout le monde couché et s'était donc trouvé une fille. Basse vengeance.
— Je ne vais pas participer ce soir. Je ne suis pas payé pour ça. J'en ai parlé avec votre grand-père hier. Il m'a octroyé la permission de m'éclipser pour une soirée, sachant que vous ne sortiriez pas. Il m'a aussi confié une autre tâche, réplique calmement Dante en se tortillant dans le lit pour se rhabiller sous la couette. La fille à ses côtés ne bouge pas d'un poil.
— Une autre tâche ?
— Un autre job. Ça ne devrait pas me prendre trop longtemps, ajoute-t-il devant la pointe d'appréhension qu'il pense déceler dans la voix de sa protégée.
— Pas de problème. Je ne serai pas seule de toutes façons.
— Exact, dit-il en faisant un geste qui indique qu'elle doit prendre la porte et la refermer.
— OK. Je sors. Alice va être déçue.
— Je m'en bran...
Francesca n'entend pas la suite. Elle a fermé la porte. Et contrairement à ce que pense Dante Lombardi, elle n'est pas du tout inquiète de le voir partir ce soir. Même si elle ne le reconnaîtra jamais devant lui, pour elle aussi la cohabitation est difficile. Pas la colocation. Le reste. Les après-midis dans l'entreprise, les informations qu'elle doit assimiler, les cours, la vie. Et tout ça, sous la surveillance, même discrète, de son garde du corps. Avoir Dante sans arrêt sur le dos, ou jamais bien loin, lui pèse. Elle se sent en cage. Et elle a besoin de liberté. Ce soir, paraît être le moment propice !
La soirée a bien entamée la nuit quand Dante revient à l'appartement après sa mission annexe, il entend les beuglements des garçons qui s'invectivent. Pas en chanson. Ça joue. Ils ont peut-être décidé finalement de faire un tournoi de Mario Kart ou de Guitar Hero ? Pierre est un gamer ardent qui lui a démontré par A+B, cette semaine, que cette passion était un exutoire tout a fait raisonnable quand on était contrarié. C'est vrai que trucider des dragons et des chimères à coup d'épée est assez satisfaisant après une journée à avoir supporté des étudiants tous aussi stupides les uns que les autres. Mais il ne reconnaîtra jamais devant le français, qu'il a suivi son conseil. D'autant que la mission de ce soir, lui a remis les idées en place.
Vu le boucan, il n'a aucun mal à entrer discrètement et à filer vers sa chambre sans que personne ne le remarque. Heureusement que la porte était fermée à clé, sinon, il aurait été facile de pénétrer dans l'appartement et de tuer quelqu'un sans qu'aucun des étudiants n'ait rien remarqué ! Information aussi utile qu'inquiétante. Il va falloir qu'il trouve un système pour augmenter la sécurité des lieux quand il n'est pas là.
En refermant sa porte son reflet dans le miroir lui indique sans détour qu'il doit se soigner et se changer de manière urgente. Sa chemise est tachée. Pas grand-chose. Quelques gouttes de sang. Mais sa grand-mère dirait que c'est bien suffisant pour ruiner un costume... et une soirée entre gens de bonne compagnie. Et ses mains... Bon. Comme il ne veut pas être mis à contribution ou voir surgir Alice, il s'abstient d'aller à la salle de bain pour le moment. Il attrape sa trousse de premier secours sous le lit et soigne ses phalanges légèrement tuméfiées. L'évocation de la salle de bain lui remet en mémoire la réaction de l'anglaise le matin même quand elle avait aperçu sa conquête aux cheveux bleus tenter de quitter l'appartement en catimini. Il avait vu la déception passer fugitivement sur son visage avant qu'elle ne se mette à l'injurier dans sa langue en employant des expressions qu'il n'avait jamais entendues. Et vue la rougeur apparue sur le visage de Sylvester, ça devait être salé... il sourit. Ça faisait un point pour lui.
Il enlève ses vêtements et enfile un tee-shirt sur son jean. Puis il se met au bureau pour faire un rapport bref et concis de sa mission à Vittorio de Luca. En sourdine, il entend les garçons qui rigolent et se chambrent.
Dante se lève brusquement, soudain conscient qu'à aucun moment, il n'a entendu les filles.. Aucune d'entre elles...
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L'obstination d'Alice Baggersmith
ChickLitIl n'y a qu'une Alice Baggersmith. Et c'est heureux ! Le monde ne se relèverait pas s'il y en avait deux. Son obstination est légendaire, comme sa bonne humeur et son langage de charretier. On l'aime ou on la déteste. Au choix. Mais l'indifférence n...