33/ Déterminée

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Alice s'en veut. Hier soir, elle était encore toute entière rongée par la trahison de Dante. C'était moins le fait d'avoir ramené une fille à l'appart pour coucher avec elle qui l'avait mis hors d'elle, que la satisfaction que l'italien affichait quand l'inconnue l'avait croisée au moment de partir. Il avait bien calculé son coup, et elle n'avait rien vu venir. Elle n'avait pas pu se préparer.

Alors quand Francesca avait proposé de sortir, elle n'avait même pas réfléchi... C'était oui, bien sûr ! Elle allait danser et se trouver un partenaire pour une nuit torride... mais ça ne s'était pas passé comme ça. Elle avait bien dansé, mais chaque mâle avec qui elle avait flirté, ne supportait pas la comparaison avec l'italien que son cœur avait choisi. Et toute entière préoccupée par sa vengeance, elle n'avait pas anticipé le drame.

À présent, elle ne pense plus qu'à Francesca. Francesca, sa nouvelle amie italienne. Francesca qui a failli se perdre. Francesca qu'elle a failli perdre. Francesca qu'un voile opaque et dangereux environne. Alice n'a que très peu d'informations concernant sa vie, en réalité. Elle est ignorante du danger réel qui rode autour de l'italienne.

Et les évènements de ce soir ravivent le souvenir douloureux d'évènements passés qu'Alice cherche à oublier depuis plusieurs années. Et elle déteste ça. Doit-elle rentrer chez elle au plus vite ? Fuir plus loin ? Doit-elle oublier ceux qui provoquent l'émergence de tout ce qu'elle a chassé de sa vie avec tant de difficulté ? Non, parce qu'elle sait que quelque chose d'important est en train de se jouer ici, en Italie. Elle l'a compris dès que ses yeux se sont posés sur Francesca de Luca et sur Dante Lombardi. Alors elle va affronter l'ombre. Elle va l'affronter et vaincre.

Assise à côté du lit d'hôpital, Alice tient la main de son amie et soupire. Immobile et blême, Francesca a les yeux clos. Ses longs cheveux épars autour de son visage donnent à l'ensemble la gravité d'un gisant. Alice se met à lui parler d'une voix douce et grave. Elle l'encourage à tenir bon, à respirer. L'exhorte à survivre, à se battre. Elle lui demande de revenir vers les vivants. Elle ne laisse rien au silence. La conviction et le ton qu'elle emploie témoignent d'une blessure ancienne. Une blessure suffisamment marquante pour laisser une cicatrice et des séquelles. Cette force qu'elle tente d'insuffler à Francesca en est clairement une.

Puis dans un murmure, elle lui raconte une autre jeune fille, dans un autre lit d'hôpital. Une jeune fille qui a abandonné. Une jeune fille qui n'est pas revenue. Elle lui dit le chagrin qui a déferlé après la disparition. L'absence insupportable. Elle lui murmure les merveilles que cette jeune fille ne pourra plus jamais accomplir. Elle lui susurre toutes celles, qu'elle, Francesca, doit encore donner au monde.

Debout dans l'entrebâillement de la porte, Dante écoute en silence. Il découvre une facette moins radieuse de l'anglaise qu'il a, jusqu'à présent, trouvée futile et superficielle. Son témoignage en cet instant révèle une existence moins rose bonbon qu'elle ne le laisse paraître. Le soleil aurait donc une ombre.


— Tenez, M. Lombardi. Juste ce qu'il vous faut.

— Ce qu'il me faut ?

— Oui. Ce qu'il vous faut. Vous avez une petite mine.

— Une petite mi...

Dante ferme la bouche brusquement en pinçant les lèvres. Comme fait cette fille pour le transformer en perroquet sans cervelle ? Il se redresse en se crispant sur la chaise sur laquelle il est assis dans le couloir de l'hôpital. Il ne prend pas le gobelet que lui tend Alice.

— Je n'ai besoin de rien, Mlle Baggersmith.

— Bien sûr que si. Vous n'avez pas dormi depuis deux nuits si je ne m'abuse. Cette nuit à cause de nous et la précédente à cause d'une conquête qui, soit dit en passant, n'avait rien d'exceptionnelle. Vous auriez pu faire beaucoup mieux. Et en plus, pour couronner le tout, vous vous êtes battu. Si vous ne voulez pas du café immonde de la machine de cet hôpital, vous devriez rentrer à l'appartement pour... vous rafraîchir, lance Alice en s'asseyant sur la chaise face à lui. Vous dégagez une odeur tout à fait charmante pour qui aime les aventuriers, mais pour le reste de l'humanité, ce doit être assez déplaisant.

Dante n'en revient pas. Cette gamine haute comme trois pommes, qu'il pourrait écraser d'une main, vient de lui dire qu'il pue. Comme ça ! Sans ménagement ! En se foutant de lui, en plus !

— Non, mais je rêve ! Vous savez que vous êtes la pire tique qu'il m'ait été malheureusement permis de rencontrer ! Je pue ! Tant mieux ! Ça va vous donner une bonne raison de déguerpir. De toute façon, Mlle de Luca n'a plus besoin de vous ! Nous allons réintégrer l'ancien appartement, fissa !

— D'abord, je fais partie des rares êtres humains à aimer l'odeur des aventuriers, commence Alice en se penchant vers Dante avec un grand sourire. Ensuite, Francesca est hors de danger et est entre de bonnes mains, maintenant. Enfin, il n'est pas question qu'elle disparaisse de notre coloc'.

— Quoi ?! C'est ce qu'on va voir !

— C'est tout vu, réplique Alice en s'adossant de nouveau, le nez plongé dans son gobelet.

— Et pourquoi ma petite fille devrait-elle rester dans votre appartement, Mlle Baggersmith ?

Dante Lombardi s'est levé précipitamment pour saluer avec déférence l'homme qui se tient maintenant près de lui. Vittorio s'est déplacé dès qu'il a su pour Francesca. Contrairement à la mère de la jeune fille, qui n'est pas encore au courant de ce qui est arrivé. Le patriarche a tenu la nouvelle secrète pour le moment.

Il salue Dante d'un hochement de tête, mais fixe la jeune fille qui est restée assise à son arrivée.


L'obstination d'Alice BaggersmithOù les histoires vivent. Découvrez maintenant