32/ L'amie étrangère

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— De quoi je me mêle ! J'en ai marre ! Ras-le bol ! Je n'ai pas besoin de toi ! Dégage ! lance l'italienne en poussant violemment Dante vers la porte à moitié défoncée.

— Francesca.

Alice qui était restée en retrait jusqu'à présent, s'avance vers la jeune italienne et lui prend la main. Elle connaît ce regard qu'a la jeune fille. Elle connaît cet emportement qui vous fait maudire ceux qui vous sont proches. Elle connaît aussi ce qui suivra si Dante se fâche et part. Si Francesca se retrouve seule.

— Viens, maintenant. Je t'en prie.


Francesca fixe Alice. Sa main tremble. Elle voudrait s'écarter de l'anglaise mais n'y parvient pas, captée par son regard noir. Elle la trouve si belle. Elle l'aime, c'est sûr. Et elle la déteste aussi. Elle voudrait la dessiner. Là. Maintenant. Tout de suite. Immortaliser cet instant. La saisir avec toute sa lumière qui irradie même sous les néons blafards de cet espace immonde et répugnant. Elle la voit nettement nimbée de ce halo. Elle voudrait se l'approprier. S'y noyer.


Alice voit toutes les hésitations de Francesca. Elle l'enlace sous le regard étonné de Dante. Elle sent les tensions de l'italienne fondre entre ses bras, tandis que le garde du corps se raidit. Elle aperçoit ses poings serrés. Elle voudrait qu'il se détende lui aussi. C'est illusoire. Il a trop de colère. Elle ne peut rien faire pour lui pour le moment. Francesca est leur priorité à tous les deux.


Dante se sent inutile jusqu'à ce que ses yeux tombent sur le type toujours au fond de la pièce. Il voit son demi-sourire moqueur. Ses yeux mauvais qui les fixent, pendant que ses mains roulent un joint. Un dealer. Dante aurait dû s'en douter. Pourquoi Francesca serait entrée avec un mec dans cet endroit sinon ? Mais même ça, c'est un peu tiré par les cheveux. En traversant la foule, tout à l'heure, Dante a bien aperçu deux ou trois types en plein échange de pilules. Pourquoi celui-ci a-t-il préféré s'isoler avec sa cliente ?

Il suffit de demander.

Est-ce que le gars sent le vent tourner ? Ou est-ce qu'il prend conscience que la soirée n'est pas finie et que d'autres clients potentiels dansent à quelques mètres seulement ? Quoiqu'il en soit, il tente une sortie rapide en contournant les filles qui sont au milieu du passage et essaye d'éviter le garde du corps. Vaine tentative, cependant, car Dante n'a pas l'intention de le laisser s'en tirer comme ça. Il l'attrape par le col et le soulève sans difficulté avant de le coller à un mur.

— Cazzo ! Ton mec, il est balèze ! J'aimerais bien le même modèle ! dit l'une des filles qui est dans le couloir  quand Alice passe avec Francesca.

L'anglaise ne répond pas. Elle file avec son amie. Elle a encore une autre italienne à récupérer. Ce soir, Alice, c'est mère Térésa. Elle rejoint Giulia toujours arrimée à sa table, fait signe à Paz et Erica, et va direct à la sortie avec sa cohorte de filles dans des états divers, mais aucune totalement indemne. Le Busquador est un enfer dans lequel Alice n'est pas près de remettre les pieds. Et si c'est en son pouvoir, elle fera tout pour qu'aucun de ses amis n'y vienne jamais non plus.


— Respire. Vas-y respire à fond, dit doucement Alice en tenant les cheveux de Giulia.

La jeune fille, pliée en deux, essaye de reprendre son souffle après avoir vomi dans le caniveau. Paz a décidé de raccompagner Erica qui n'avait pas non plus bonne mine. Elles ont pris un taxi. Francesca, adossée au mur derrière elle, fixe la rue d'un regard absent. Elle n'a pas encore atterri. Elle ne voit pas encore le monde avec ses yeux. Un voile de mensonge enveloppe ses sensations et embrouille son esprit. Elle n'a conscience de rien et paradoxalement sent les regards des quelques jeunes qui entrent et sortent de la boite.

— Francesca ? Tu crois que tu peux marcher ? On rentre ?

— Pourquoi es-tu si lumineuse ?

— Pardon ?

— Pourquoi es-tu si lumineuse ? Tu brilles tellement fort.

— Putain, elle est vraiment allumée, dit Giulia d'une voix pâteuse.

— C'est le lampadaire, Francesca. Allez, viens ! On rentre.

— Non. Je veux rester ici ! Et puis, y'a pas de putain de lampadaire ! C'est toi qui brilles.

— Si tu veux. Mais il faut rentrer.

Brusquement des rumeurs plus fortes viennent capter l'attention des trois filles. Un mouvement de surprise parmi les personnes dehors. Puis une haute silhouette est éjectée du bâtiment. Dante Lombardi se rétablit sans difficulté en faisant une roulade. Puis il se relève en époussetant ses vêtements mine de rien. Il arbore une lèvre fendue, mais sourit comme si tout ça n'avait été qu'une bonne blague.

— Cazzo ! Pas un pour rattraper l'autre ! s'exclame Alice.

Le sourire moqueur de Dante s'efface quand il voit le corps de Francesca s'affaler sur le trottoir, comme une poupée désarticulée.


L'obstination d'Alice BaggersmithOù les histoires vivent. Découvrez maintenant