Episode 2 - Henri - Les lois

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Henri regagna son bureau, Noellia l'attendait avec un livre de jouets dans la main. Henri sourit et lui demanda ce qu'elle faisait là. Elle lui répondit très sérieusement

- Tu ne fais pas assez attention à ce que tu penses !

Henri s'assombrit d'un coup, sa fille enchaina :

- Je suis venue te faire un câlin, pépé ! Et je veux savoir quand c'est mon anniversaire !

Elle s'avança près de son père. Le roi mit un genou à terre et la prit dans ses bras. Ils restèrent quelques minutes puis s'écartèrent. Noellia lui colla son livre de jouet sous les yeux

- Regarde Papa ! j'ai vu ça ! j'en envie de l'avoir !

Henri, un peu forcé, regarda ce que sa fille lui montrait. C'était une espèce d'œuf, un truc en plastique qui, Henri en était persuadé, finirait dans un carton au fond de la chambre après quelques jours de jeu. Et cela pour un prix assez conséquent. Le roi allait lui répondre « on verra bien », sa fille le coupa.

- Ca fait deux ans que je demande cela ! si je ne l'ai pas je brule tous mes jouets !

L'air sérieux de sa fille, rappela à Henri qu'en effet que ça faisait plusieurs fois qu'elle le demandait. Et que ça faisait également plusieurs fois qu'il faisait le même cheminement pour lui refuser ce qu'elle avait l'air de désirer plus que tout. Finalement il lui dit :

- On verra bien

Tout en pensant qu'effectivement la constance de sa fille méritait qu'elle soit honorée.

- C'est la première fois que tu le penses !

Elle le fixa, puis fit demi-tour, laissant son père avec le livre de jouets et un sentiment inconfortable que sa fille avait quelque chose de spécial. La pensée lui effleura l'esprit, lit-elle les intentions des gens ? Henri refusa cela, puis se jura d'observer plus attentivement sa fille.

Quelques mois après, l'anniversaire arriva. Henri put voir une joie purement enfantine sur le visage de sa fille quand elle sortit son œuf de sa boîte. Pour ce moment, le roi se disait que peu importe que ce jouet finisse dans un sombre recoin de sa chambre, peu importe les ressources gaspillées pour le fabriquer, il n'en restait pas moins que sa fille ressentait une vraie joie, celle de voir un souhait réalisé, celle de pouvoir vivre dans la réalité ce que l'on a imaginé tant et tant de fois.

Henri fut presque jaloux de sa fille, tant son imagination à lui ne se concrétisait pas. Le soir de l'anniversaire il s'endormit avec une certaine tristesse, il était accompagné d'une musique douce qui parlait de souvenir d'enfance, d'un ciel si coloré que les étoiles paraissaient avoir explosé en gerbe arc-en-ciel. Il s'endormit avec ces dernières images, une larme coula sur sa joue.

Après ce jour, Henri s'enfonça dans une profonde mélancolie, tout le désintéressait de plus en plus. Il assistait au conseil sans entrain. Il écoutait sans retenir. Il n'avait aucun pouvoir, il aurait pu ne pas être là, le système de Varance fonctionnait sans lui. Les lois se faisaient et se défaisaient au rythme des propositions de chaque varancien.

Ce système fonctionnait bien, chaque varancien avait la possibilité de proposer une amélioration pour son quotidien, puis la proposition passait au vote du conseil de son quartier, si était approuvée à l'unanimité, elle était appliquée localement et proposée au conseil de la commune.

Ainsi une proposition qui passait l'ensemble des regroupements, c'est-à-dire le quartier, la commune, le département, la région, le duché et enfin le conseil des gardiens, la proposition pouvait alors se retrouver appliquée à l'ensemble du royaume. Cela posait quand même quelques problèmes, notamment lorsqu'il y avait des effets de concurrences entre les différentes communautés, mais dans la grande majorité des cas, tout cela fonctionnait, grâce notamment aux castes.

L'administration varancienne était en fait une organisation matricielle chapeautée par la famille royale et un couple de prêtres, ainsi était maintenue la cohésion du royaume.

L'exception à cette règle était Safira, pour la capitale qui était considérée comme un duché à part entière. Elle comprenait uniquement vingt communes de vingt quartiers. L'exception était qu'aucun des élus de Safira n'était éligible au conseil des gardiens, a contrario à Safira les élus avaient l'assurance qu'une proposition soit diffusée bien plus rapidement.


Le chemin, avec deux strates en moins, était bien plus cours que dans n'importe quel quartier du royaume. L'inconvénient était que les lois qui venaient de Safira, étaient bien moins éprouvées que celles provenant des autres duchés et donc plus risquées.

De ces deux modes législatifs, l'un rapide d'où résultait des lois peu éprouvées, l'autre plus lent d'où résultait des lois solides, Henri en faisait une utilisation politique. Il savait bien qu'il n'avait qu'un pouvoir consultatif, mais il avait remarqué que sa présence dans les conseils appuyait les lois sur lesquelles il donnait son avis.

Deux exemples lui revinrent en mémoire, le premier fut pour appuyer une proposition d'un artiste très populaire, le grand Gabriel Vaxence, de son vrai nom Gabroniel Imir taruf. Ce dernier avait proposé que tous les invendus alimentaires ou en limite de péremption soient redistribués gratuitement à ceux qui en avaient le plus besoin. La loi qui en avait découlée était que chaque varancien avait le droit à un endroit pour dormir, boire et deux portions alimentaires pour chaque jour.


Chaque jour ceux qui le souhaitaient pouvait être hébergés dans des gymnases ou des bâtiments administratifs, on leur fournissait un repas le matin, un le soir, ainsi qu'une paillasse et un sac de couchage. Ils arrivaient le soir et repartaient le matin, dans la journée le lieu d'habitation était nettoyé et préparé pour le soir, souvent par ceux qui utilisaient ce droit de nécessité. L'endroit servait aussi de crèche et de nursery pour les enfants en bas âge.

Henri trouvait le système élégant, il y avait quelques fois des problèmes, mais ceux-ci étaient réglés aussitôt par les bénéficiaires. Certains même en avaient fait leur métier car ils considéraient que le gite et le couvert étaient leur salaire. Le principal inconvénient était que ses mêmes bénévoles devenaient non traçables, au sein du conseil on les appelait les sans castes, malgré le fait qu'ils étaient tous affiliés à l'une d'elles. Même les silencieux utilisaient ce droit, il en était venu à considérer cela comme une retraite monastique.

Pour cette loi, Henri avait siégé aux vingt conseils de quartier de la quatorzième commune de Safira. Ce ne fut pas son geste qui fait que cette loi fut appliquée à l'ensemble de Varance, il ne fit que contribuer à un effet plus global provenant de presque la totalité des trois cents mille quartiers que comptait Varance.

La deuxième fois, ce fut un échec. Par l'intermédiaire d'Olivier Menez, il fit une proposition de loi dans un des quartiers du quatorzième. La proposition consistait par la suppression des prépositions de genre, pour les remplacer par une préposition indifférenciée tel que « humain ».

La loi ne passa pas le conseil de quartier, elle partit dans les limbes des propositions jamais appliquées. Malgré tout cela, Henri se disait qu'il avait au moins essayé. C'est en se rappelant ce fait qu'il imaginait le feu roi Louis comme un roi à poigne, car c'est en passant par les conseils de quartier de Safira qu'il avait fait appliquer le système de la marque.

C'est également avec ce système qu'Anna avait fait voter la gestion des droits d'auteur. Elle avait cheminé à travers des quartiers stratégiques de Varance, elle avait réussi à convaincre chaque quartier dans lesquels elle était passée, toutes les strates du pouvoir avaient suivi, jusqu'au conseil des gardiens.

Cette épopée politiqueavait prouvé à Henri qu'Anna était une reine forte et d'un époustouflantpragmatisme. Une volonté combative, celle d'une grimpeuse qui mousqueton aprèsmousqueton parvient en haut de la montagne, malgré le froid, le vent, lagrimpeuse chevronnée parvenait à son objectif. Anna était ainsi, quand quelque choselui tenait à cœur, ou qu'elle se sentait le devoir de le faire, elle allait aubout. Henri l'admirait pour ça

Chimère - saison 2 - La dameOù les histoires vivent. Découvrez maintenant