Episode 1 - La source - La naissance

45 8 53
                                    

J'AI ÉTÉ. L'adversaire m'a tenu en échec. Il m'a contraint à la défaite. J'ai perdu un tour, je n'ai pas perdu le jeu. A mon tour de l'obliger, à se montrer, à se révéler à moi, alors je gagnerais. Le « JE » cherche. Il trouve ce dont il a besoin. Il y applique sa volonté et se prépare à jouer son tour.

JE VEUX. Million de danses simultanées. Quarante-six partenaires qui dansent et se séparent, valse continue, dont l'impulsion est la même, le désir du JE, celui de se voir, de se comprendre dans sa globalité.

La magie de la vie... la magie de la création. Vient une autre magie, celle du brassage. En chaque être, les paires dansent, se rapprochent, tournent, puis se séparent. De chaque paire nait des aptitudes, des fonctions, des rôles. 

Le code en eux leur fait construire une coque, puis un gouvernail qui fait office de quille. Un navire si frêle, si petit, quand il sort de la spirale il paraît insignifiant. Il fait ses premiers bords et rejoint des millions et des millions de fragiles nefs, porteuses, chacune d'une combinaison.

D'un seul coup le chaos devient ordre, les plus rapides, les plus frêles ont disparu, à jamais perdu dans l'inconnu. Les tremblements reprennent, de plus en plus fort, de plus en plus rapides, jusqu'à un instant de fébrilité absolue. L'ensemble des navires partent dans une même direction, ils ne bougent pas, ils sont portés par une onde de choc, un tsunami.

Dans la sombre solitude de la multitude, les millions de frêles esquifs s'avancent. Pas de cri, pas de batailles, juste avancer. Les rangs s'éclaircissent de moitié, les plus robustes survivent. Ils passent à travers une toile qu'une antique araignée a tressée. C'est de la sélection naturelle, ceux qui ont péris et bien servis. Ils ont ouvert la voie, c'était leur mission, leur rôle.

Ensuite une vaste cavité, les parois de la grotte vibrent d'une telle intensité que de quelques millions, on ne les compte plus que par milliers. Les plus chanceux remontent demi-millimètres par demi-millimètres. Puis se présentent un à un devant les gardiens. Gagnant pour tous la possibilité d'atteindre la promise et pour l'un d'eux, la mission de se retrouver uni à la moitié qui lui manque. Enfin, la dernière ligne, au bout de cet exténuant voyage, seule une centaine ont encore l'énergie pour rencontrer la promise.

Aussitôt en vue, ils se précipitent tous contre cette paroi imperméable. Le contact avec la paroi libère une solution acide qui dégrade les murs de cette inexpugnable forteresse. Peu à peu, à force d'assaut, la paroi s'affaiblit, plus que dix, plus que neuf.

Le miracle, celui de la vie. L'un des combattants, l'élu se dépose sur la paroi et se font en elle. Aussitôt, la promise s'anime, elle qui avait assisté à cet assaut, dans un immobilisme total. Elle va à lui et lui à elle. Ils fusionnent, la paroi se transforme en une armure impénétrable. En son sein, vingt-trois danseurs s'animent et rejoignent les vingt-trois invités. Leur mouvement est lent, comme une scène au ralenti, où deux amoureux courent l'un vers l'autre. Il n'y a pas que les danseurs qui s'animent, on peut voir également les usines d'énergie qui se mettent en marche. Plus l'énergie afflue plus les mouvements s'accélèrent.

Enfin, les danseurs se rencontrent, ils trouvent chacun le partenaire qui leur ressemble. Il n'y a qu'un couple dépareillé, l'un est plus grand que l'autre, mais ils semblent presque plus fusionnels, tant leur ardeur à danser ensemble est intense.

Le ballet d'une cellule qui se divise en deux, quatre, puis huit, puis seize ... L'amas ainsi constitué traverse le tunnel, aidé en cela par un tapis de nodules. A nouveau le gardien, cette fois-ci il laisse passer sans ralentir, les parois de la grande cavité cessent leurs vibrations. L'ovule fécondé glisse tout doucement. A l'intérieur de lui, quelques cellules restent indifférenciées, les autres se spécifient dans un rôle qui leur est propre. A commencer par la sécrétion de particule de sucre, qui vienne se lier à ceux de la paroi. Le tout accepte, la matrice accepte.

C'est le signal de la différenciation, au début chaque cellule se voit tel un miroir dans l'autre. Puis l'une placée plus proche du point de contact avec l'utérus, se sent plus forte, elle prend ce dont elle a besoin et laisse la place à suivante. Chacune leur tour elle s'abreuve à la mère, à la matrice, à la source, puis glisse vers l'intérieur. Les cellules se multiplient. Lassée de ce ballet incessant, l'une des cellules prend le rôle de transmettre aux autres la substance divine provenant de la source. Sitôt le rôle pris, d'autres se proposent pour protéger l'ensemble. Chacune à leur tour, chacune se spécialise, l'alimentation, la protection, la distribution, la coordination, ...

Puis vient le moment où les cellules deviennent trop nombreuses, le substrat a de plus en plus de mal à circuler. Et une cellule se sent touchée par autre chose que de la matière, comme une présence joyeuse et bienveillante. Il y a une autre source, plus subtile. La cellule se met à vibrer. Boum. L'impulsion donne une dynamique au fluide, mais n'atteint pas encore celle qui protège. A nouveau, elle vibre Boum. D'autres cellules se joignent à elle. La vibration est de plus en plus forte au fur et à mesure où toutes vibrent en même temps. Boum, boum. Puis de plus en plus vite, tellement la sensation est galvanisante, donner, donner, tel est leur leitmotiv. Boum, boum, boum, lorsqu'elles atteignent leur rythme de croisière, toutes les cellules profitent du bien fait du substrat.

Et le bruit se fait incessant donnant le rythme de la création. L'ensemble essayant de vibrer à l'unisson, pour se rapprocher de la source, pour l'atteindre. Et la source répond. Une infime partie d'elle, comme une présence bienveillante, une présence qui donne le gout de voir, de lire, de courir, de vivre la vie pour laquelle la matrice a dit oui. L'émissaire de la source prend place, et donne le désir à chaque cellule, le plaisir d'exister.

De division en spécialisation, le corps du futur être humain se forme. D'embryon, il devient fœtus. C'est là que le choix du genre devient réel, les gonades se présentent. Pour celui-là, elles seront à l'extérieur. Et le fœtus devient un male Il se ressource auprès de son âme, auprès de la source, auprès de sa mère, peu à peu il prend de la consistance, peu à peu il bouge, il se développe.

J'ARRIVE. Il fait son inventaire de ce qu'il est et deviendra. Tout est parfait. Et sur ces dernières pensées, la matrice se contracte. L'espace devient inconfortable, le liquide ne fait plus office d'amortisseur. Après quelques minutes, il y a une deuxième contraction, c'est l'avertissement, celui qui va précéder la naissance.

 ∞

JE SUIS PRÊT. Les contractions se font de plus en plus rythmées. Peu à peu le col se dilate. D'un centimètre, il passe à quatre. L'arrivée de l'enfant est imminente. Encore quelques soubresauts, et le passage s'élargit encore de quelques centimètres. Ca y est presque. Un moment d'attente qui parait être des siècles, et enfin un son qui veut dire « c'est le moment ». L'ensemble du corps de la mère se contracte. Quelqu'un appuie en rythme sur le ventre. L'enfant pousse également, sortir, vivre, tel et son leitmotiv.

Un moment de silence et dans un dernier effort l'enfant sort. Il fait froid. J'ai mal. Je ne veux pas de cet enfer de douleur. L'émissaire de la source rassure tant qu'il peut, mais la douleur est trop forte. Alors la source s'approche, plus près. Presque à toucher l'enfant. Et lui souffle le mot, son nom, sa vie, son destin. L'enfant reste dans un moment de stupeur, oublie tout. Il ne sait plus ce qu'est la douleur, il ne sait plus ce qu'est la source, tout est enfoui dans ce que l'on appelle l'inconscient. Seul reste le cœur ...Baboum ...Baboum, celui-ci a besoin d'énergie, les cellules ont besoin de sang oxygéné, mais le cordon n'est plus. Reste l'environnement, il aspire sa première goulée d'air.

Les poumons se déplient, c'est une douleur intolérable pour toutes les âmes, mais pour un nouveau-né, c'est l'art de vivre. Il aspire, et expire, tout l'air de ces petits poumons, il crie. Il hurle à plein poumon son envie de vivre. Il aspire à nouveau, et crie toute sa douleur de vivre, d'exister.

Chimère - saison 2 - La dameOù les histoires vivent. Découvrez maintenant