Sauvetage ( Eve )

92 10 2
                                    

24 décembre 1942, Saint Nazaire de Ladarez, Hérault, Languedoc-Roussillon, France.

J'étais tranquillement en train de marcher toute seule dans la forêt, sur le sentier de randonnée qu'il y a juste à côté de chez moi.
Mon âme et ma conscience ne sont pas totalement en pleine fonction, je suis encore endormie par le repas avec les allemands chez les Dubois. L'ambiance y était affreuse, ces Boches sont toujours enivrés par le whisky et le cognac, rigolant à gorge déployée comme s'ils étaient des nôtres. Je les hais.
Ce Marinus Strauss-Kahn, c'est le général du village, il vit chez les Dubois, c'est un des seuls qui se fait relativement discrets... avec un jeune soldat, Hans Leyers me semble-t-il. Ils n'en sont pas moins des nazis violents qui ont abattu quatre personnes du village pour venger l'œuvre de Maxence sur la Route de Béziers.

Soudainement, un relan âcre est venu me chatouiller les narines. Seigneur ! Quelle est cette puanteur ?
Cela ressemble à une odeur de rouille, de sang séché.
Oh la la mais c'est atroce ! J'ai couru, mené inévitablement par cette odeur pourrie, voyant au loin une silhouette humaine étalée au milieu de l'herbe.

《 Monsieur ? Monsieur allez-vous bien ?? ai-je demandé en m'acroupissant à côté de cet homme avec l'abdomen en sang. 》

Il a poussé un grognement de douleur, essayant tant bien que mal de se relever.
Je reste stupéfaite en voyant l'homme allemand à qui j'ai servi un verre, Hans Leyers étalé dans son sang. C'est pas vrai ! Dois-je le sauver ?

Aide ton prochain ma petite Eve, Dieu te voit, me disait souvent mon grand-père.

J'ai enlevé mon châle pour l'appuyer sur les vagues de sang s'évaporant du corps de cet homme. Je peine à ne pas vomir et trembler, sachant très bien que ça peut être irréparable. J'ai respiré profondément, fermant les yeux pour me concentrer, puis j'ai commencé à essayer de faire quelque chose de bien.
L'allemand se tord de douleur au contact du tissu contre sa plaie.

《 Ça va aller Monsieur, ça va aller...
- Aidez-moi je vous en supplie...
- Je vais vous ramener chez moi, une fois l'hémorragie stoppée. Restez calme, serrez mon poignet pour évacuer si vous le souhaitez. 》

J'ai laissé l'Ennemi s'agripper à moi, en se tordant de douleur contre mon bras, oubliant que je suis française, j'oublie qu'il est allemand.
Cet homme souffre tellement, des larmes s'échappent sans contrôle avec un hurlement quand je tente de le relever par le bras.

《 Attendez Mademoiselle je ne peux pas me lever !!
- Mais si voyons, appuyez vous sur moi.
- Je ne vais pas m'appuyer sur une...
- Pour une femme j'ai de la force, ai-je souri, alors venez avec moi si vous ne voulez pas mourir. J'habite tout près. 》

Son regard a croisé le mien, deux prunelles fatiguées et à bout mais malgré tout elles sont pleines de hargne et d'ardeur. Je lui ai tendu la main, il l'a saisi, le contact froid ferme de sa peau me donne un petit frisson. Je passe délicatement mon doigt humide sur sa paupière où se trouve du sang séché.
Leyers s'est alors relevé en s'appuyant d'une main, et titubant il m'a pas quitté des yeux, bien positionné sur ses deux pieds.

《 Vous allez bien Monsieur Leyers ?
- Oui. 》

Je sursaute quand il me saisit par les épaules pour ne pas s'écrouler, le visage se crispant de douleur. Je n'ai plus calculé son statut dans le village, son origine mais qu'il est souffrant. Sans lui demander son accord, frissonnant par la situation, j'ai ordonné au Boche de s'appuyer sur moi. Il pèse vraiment très lourd...
Avec difficulté mais grande détermination j'ai marché, respirant par bouffées saccadées. Je n'ai jamais vu un homme aussi fort mentalement même pour un allemand. Il se bat pour marcher, respire par des grognements de douleur, tremblant, mais le Boche se maintient debout à côté de moi. Il s'est tenu à la rampe de chez moi pour monter les escaliers en gémissant d'épuisement.

Programmés pour tuerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant