La folie ( Hans )

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27 juin 1944, Frías, Castille-et-Léon, Burgos, Espagne.

Je n'en peux plus, trop c'est trop. J'ai fui en derniee signe d'obéissance à Marinus, j'ai fui en passant que je pourrai revenir assez tôt mais là Nein ! Je suis dans ce village d'espingouins, ces espagnols sont vulgaires, bruyants on se croirait dans une exposition animale c'en est assez. Ce n'est pas ma place ici, je devrai être à Saint Nazaire de Ladarez avec Eve, et mon mentor. Je devrai être avec des deux personnes qui me sont si chères et prendre le taureau par les cornes comme Marinus me l'a toujours appris à le faire.

Depuis que je suis arrivé à Frías, je vis reclu des autres, ayant retapé une vieille maison de la commune à l'écart, restant enfermé comme un rat. Étant la risée des espagnols. J'ai vu une autre partie de la guerre, ces soldats de Franco, ils sont comme ceux d'Hitler, n'aimant que les espagnols. Ils haïssent les allemands, les italiens, les français, les russes, tout ce qui n'est pas originaire de leur terre est considéré comme l'Ennemi. C'est un véritable miracle que je sois encore en vie sous cette pression quotidienne. Alors aujourd'hui je me reprends, je m'en vais de ce village misérable où Marinus pensait que je serai en sécurité ! Même ses connaissances me regardent de travers, comme si j'étais un monstre. Alors je remonte vers la France, je remballe mes affaires et je vais affronter mon destin en face à face.

J'ai observé à travers la fenêtre jaunie par le tabac laissé par les Juifs qui habitaient ici, seuls quelques femmes sont présentes dehors, la mine triste et soumise face à la violence de leur mari. C'est parfait, je pourrai partir sans devoir me battre mentalement face aux insultes espagnoles. Je pourrai passer par la fenêtre extérieure au village et partir. Partir de ce maudit canton pour retrouver mon mentor et Eve, affronter ma destinée quelle que ce soit-elle.
Je retrousse mes manches, mets les quelques habits qu'il me reste dans un vieux sac et y pose mon calepin, ce calepin qui a vu mon évolution, mes hauts et mes bas, sans jamais m'avoir jugé une seule fois. J'ai observé une dernière fois ce lit craquelé par le temps, ce lit où j'ai hurlé, pleuré, lâché prise... Je n'en pouvais plus. Je n'en ai jamais pu ici. Qu'est-ce que cela va me faire du bien de partir d'Espagne. Ce pays ne m'a rien apporté de bon, juste des crises d'angoisse et des séquelles mentales dues à cette fameuse nuit...

Je me suis dirigé vers la salle de bain, ouvert la fenêtre humide, jeté mon sac sur le toit d'un petit cabanon pour les détritus. J'ai forcé sur mes deux bras pour me propulser sur le petit rebord de la fenêtre et atterrir sur le bas côté au milieu des mauvaises herbes. Ça y est, j'y suis, c'est le commencement de ma future liberté. Le paysage n'est que très peu différent de la garrigue de Béziers, les feuilles sont sèches, les arbres tous à peu près aussi massifs les un que les autres. Tous les paysages de ce sud de l'Europe se ressemble, le paysage malgré tout martyrisé par ces horreurs. Ces horreurs qui n'en finissent jamais, elles sont toujours là, les obus tombent, les vies sont coupées, les cœurs et les âmes détruites... Il y a bien trop de temps que cette foutue guerre aurait dû se finir.

J'ai continué à marcher comme les gens invisibles marchent, le sac sur le dos, sans rien attendre de personne. J'ai parcouru bon nombre de chemins tous identiques, je me suis fait klaxonner bon nombre de fois, huer, moquer, fait jeter des tomates au visage car je suis allemand. Et maintenant, en 1944, être allemand c'est être le clone d'Hitler et Himmler, pensait et ne vivre que pour eux et leurs idées. Je ne sais pas tellement où je suis mais je marche, je marche vers le Nord. Je sais que j'arriverai en France à un moment donné.

《Monsieur savez-vous à combien de kilomètres sommes-nous de la frontière avec la France ? ai-je demandé à un randonneur.
- Vous êtes allemand ?
- Et ?
- Et bien alors allez vous faire voir avec votre Fürher par la même occasion ! Allez crevez en Enfer tout en pillant la France comme vous savez bien le faire sale Boche !!
- Et vous Monsieur vous êtes français n'est-ce pas ?
- Bien sûr que oui.
- Un vrai français qui a le culot de parler comme ça, un français digne de ce nom serait resté défendre son pays sans fuir en Espagne !
- Je...
- Bonne journée Monsieur, ai-je souri. 》

C'est impensable... Comment les gens sont méchants et cruels entre eux ! Juste pour des origines différentes ? Nos origines ne définissent en rien qui nous sommes, quel manque d'intelligence pour penser ainsi je n'en reviens pas !
J'ai continué à marcher, espérant ne pas croiser de soldat franquiste, voulant juste reconnaître les places de stationnement où j'ai quitté Marinus. Ce sera ma dernière ligne droite.

C'est là que je suis arrivé sur cette grande étendue goudronnée, les places de stationnement.
Trop heureux pour crier ou pleurer, je me suis effondré au sol pour baiser cette terre, cette terre qui me ramènera à la France. J'y suis enfin, après des heures de marche J'y suis arrivé ! Je vais rentrer en France !!!
Une odeur infâme vient soudainement me traverser les narines. Une puanteur de charogne dévorée par les vautours. Mais qu'est-ce que c'est que cela ? Je me suis approché, irrésistiblement attiré par cette odeur interdite et mauvaise pour l'homme.
Oh Seigneur que c'est laid. Un cadavre humain, posé à la vue de tous, les yeux ouverts, le crâne vulgairement transpercée d'une balle d'un 9 mm. Je me suis approché encore un peu, malgré tout le corps commençant à suer et à trembler sous cette pression morbide.

C'est Pino ! Mon pauvre Pino échoué comme une épave au sol. Je ne m'en suis pas rendu compte tout de suite, ne réalisant pas que c'est mon chauffeur étendu face à moi, dont les seuls restes sont le corps déjà froid et pourri de l'intérieur.
Seigneur... Seigneur prend ce pauvre Pino en ton sein, chéris le et récompense le pour toutes les bonnes actions qu'il a fait en mon nom, que le sien soit sanctifié par delà les âges. Je n'ai pas su quoi faire, trop ébahi pour faire quoique ce soit je me suis simplement accroupi auprès de lui, observant son visage. Ce visage tétanisé, qui n'a pas eu le temps de réaliser ce qui lui venait entre les deux yeux. D'un geste béni de Dieu, j'ai passé mes doigts sur ses paupières, que personne ne voit ce cadavre crispé par la peur de l'instantané. Qu'il repose en paix.
Ne sachant que faire, si je dois transporter le corps, l'enterrer, le laisser à découvert et passer ma route, j'ai recouvert sa tête de ma veste en le mettant sur le bas côté. En déposant la dépouille de mon chauffeur, j'ai senti une feuille m'effleurer la cheville.
Bien intrigué, j'ai ramassé le bout de papier et l'ai déplié. Mon cœur s'est serré en voyant que c'est Marinus qui l'a écrite. Qui l'a écrite pour moi.

Je me suis assis dans l'herbe à côté des places de stationnement, et j'ai commencé à lire avec cette appréhension affreuse de savoir ce qu'il se cache dans les lignes écrites par mon mentor.

Oberfürher Leyers. Mon Leyers.
Il fallait que je t'écrive avec urgence. Je n'aime pas les lettres, je trouve que cela manque bien trop de tact mais je sais que tu comprendras. Puis honnêtement tu vaux quand même la peine que je m'ouvre un petit peu plus à ce nouveau monde.
Avant de t'annoncer toute cette chaîne de mauvaises nouvelles, j'aimerais que tu ailles bien, je voulais que tu saches que tu peux être en sécurité pour Eve, elle a beaucoup changé depuis que tu es partie c'est devenu une vraie femme. Tu peux en être fier. Et si le sort de ton vieux mentor te préoccupe encore, je vais bien aussi !
Malheureusement, je ne vais pas t'écrire une lettre sentimentale, mais de préparation au pire moment de notre vie je pense. Je ne sais pas comment se passe ton séjour dans le village espagnol, mais il va devoir être écourté et je m'en excuse. J'ai appris que les troupes d'Himmler commanditées par Jean Dechambord sont sur tes traces, ils te cherchent et ne vont pas s'arrêter jusqu'à ce qu'ils te trouvent. Et ils te trouveront si tu ne prends pas ma lettre au sérieux. Tu es coincé Leyers, nous sommes tous les deux coincés dans ce tumulte de catastrophe causé par l'amour. Alors reviens vite, reviens au village le plus vite que tu puisses, personne ne pourra t'arrêter ou te faire quoique ce soit, Dechambord est parti, Jäger cloué au lit. Reviens au village, je serai là, je t'attendrai comme je sais le faire depuis des mois que tu es parti. Tu ne traverseras pas ça tout seul, c'est moi et moi seul le responsable alors je serai là avec toi. Je serai toujours là pour toi Leyers, c'est peut-être la fin d'une histoire mais ce n'est pas la fin de la tienne. Je t'attends, quand tu arriveras je te laisserai une nuit pour dire au revoir à Eve et nous ne pourrons plus jamais revenir tant que la guerre n'est pas fini. Nous irons au cœur de là où tout a commencé, en Allemagne.
Reviens-nous vite.

- Oberstgruppenfürher Marinus Strauss-Kahn.

Programmés pour tuerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant