Sortie amicale ( Marinus )

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10 juillet 1943, Ceilhes, Hérault, Languedoc-Roussillon, France.

Quelques jours se sont écoulés depuis que le colonel Leyers s'est violemment emporté auprès des deux autres abrutis. Je reconnais que je n'ai pas compris sa réaction. Je connais le passé du petit, je sais que son père avait souvent des gestes déplacés et non consentis envers sa mère, je sais qu'il a vécu beaucoup d'épreuves du haut de ses 23 ans mais ce qu'il a fait dépasse le surréalisme.
Personnellement, je suis allé renvoyer paître les deux idiots car ce qu'ils faisaient à cette Eve était un pur manque de respect.
Mais la façon dont Leyers s'est levé en courant vers eux, la manière dont il les a frappés relève bien plus qu'une simple volonté de punir l'irrespect. Il y a autre chose de bien plus profond et sincère dans son geste, je trouverai ce que c'est et le punirai. Le Colonel SS du village ne peut pas se permettre de tels égards envers Fräulein Dechambord.

Pour changer les idées à ce petit Leyers, je l'ai amené avec moi à la lisière d'un petit village, à Ceilhes.
C'est la première fois depuis que mes hommes et moi sommes arrivés à Saint Nazaire que je m'autorise à prendre un peu de congés. Sauf qu'avec ce gamin c'est pas pareil. Je sais au fond de moi qu'il a besoin de ma présence, tout comme j'ai besoin de la sienne. J'avoue qu'Hans me manquerait, de bien des manières mais je ne me vois pas ne serait-ce qu'une journée ne pas l'engueuler gentiment ou le complimenter sur son travail qui se perfectionne de jour en jour.
Je ne sais pas quelle serait ma vie si ce jeune homme de 16 ans n'était pas venu de son plein gré à la Kommandantur de Berlin. Peut-être que j'aurais été envoyé au Front, peut-être que je serai mort, peut-être que je n'aurais jamais fait la connaissance de mon amie Helena. C'est grâce à ce Hans Leyers que j'ai réussi à sortir de ce deuil interminable.

Nous roulons dans ma Mercedes-Benz G4, cherchant une grande plate-forme où nous pourrons enfin nous poser.
Mon colonel du village n'a pas dit un mot depuis que nous avons pris la route hier soir. Cette histoire l'a vraiment perturbé.

《 Bon alors Leyers tu comptes rester muet jusqu'à la fin de notre petit séjour ?
- Je n'avais pas grand chose à dire Marinus.
- Parle moi d'Eve. Ça a fait sortir ton démon interieur, toi qui était si calme, de la voir malmenée comme ça.
- Je n'ai pas de démon intérieur. Puis aucune femme ne mérite d'être humiliée comme cela en public, a-t-il répondu fermement.
- Leyers, si tu veux essayer de me prendre pour un gros con essaie de bien le faire au moins ! ai-je ri aux éclats.
- Je ne vous prends pas pour un con Marinus, puis si vos doutes étaient vrais vous ne les comprendriez même pas.
- Détrompe toi, ai-je acquiescé tout en repensant avec nostalgie à ma femme Maria et mon fils.
- Mais vous, c'est quand que votre démon intérieur est sorti Marinus ? Car finalement en y réfléchissant bien, vous avez raison ça m'a rendu fou.
- On s'en fout de quand mon démon est sorti Leyers, je suis un démon à moi seul.
- Vous vous dénigrez, m'a-t-elle rassuré avec une tape à l'épaule.
- La seule fois où mon démon intérieur est sorti, c'est lorsqu'on s'en est pris à mon épouse, ai-je décidé de lui confier. 》

Il est resté surpris de cette révélation que je n'avais jamais fait à personne, je n'avais jamais parlé de Maria ou même de Klaus à qui que ce soit.

《 Vous avez une femme ? s'étonne-t-il, tout à coup plus éveillé. À quoi ressemble-t-elle ?
- Elle s'appelait Maria. C'était sans aucun doute la plus belle femme que je n'avais jamais vu, une telle beauté ! Je n'en étais pas digne vois-tu.
- Attendez, si vous parlez au passé est-elle...
- Elle est morte oui. Il y a des années.
- Mes condoléances. 》

J'ai avalé avec difficulté sans lancer sur le sujet mon pauvre fils Klaus. Cela fait pas de mal de se confier en fin de compte. J'ai senti l'énorme poids qui me  pesait sur les épaules s'envoler d'avoir révélé ce secret à quelqu'un de confiance.
Un ange est passé, plusieurs anges. Peut-être que je n'aurais pas dû parler de ça à Hans, il est jeune je ne vais pas venir lui plomber la tête de mes souvenirs dramatiques.

《 Vous avez bien fait de vous débarrasser de ce fardeau Marinus. Je pense que vous vivrez plus librement maintenant.
- Tu es trop naïf Leyers, un homme comme moi n'est pas fait pour vivre comme toi tu le fais.
- C'est-à-dire ?
- Dieu a mis sur mon chemin l'amour une fois, où j'ai aimé, épousé et donné un enfant mort aussi à cette fabuleuse Maria. J'ai aimé deux personnes plus que ma vie toute entière. Je ne suis plus fait pour aimer. C'est pour ça que je te demande de parler d'Eve.
- Je vois oui...
- J'ai beau avoir la quarantaine, je ne suis pas encore défraîchi par la nature ! Je suis pas débile Leyers, sois honnête, il y a quoi avec la petite Dechambord ? 》

J'espère qu'il ne fera pas la même erreur que moi...

Il m'a regardé avec cet air de garçonne qui a commis une grave faute, il a inspiré profondément avant de se confier à son tour.

《 J'entretiens une relation avec Eve.
- C'est bien ce que je pensais, ai-je répondu en éteignant le moteur de la caisse.
- Punissez moi, je sais que vous en avez envie et je le mérite. Je n'aurais pas dû tomber amoureux d'une française.
- Je ne te punirai pas Leyers.
- Ah bon ?
- Ja. Je sais ce que c'est d'aimer quelqu'un qui t'est interdit. C'est horrible, c'est de la pure torture alors je ne dirai rien.
- Je vous remercie.
- Mais sois discret, prudent, veille toujours à ce qu'aucun idiot ne te voit.
- D'accord oui.
- Ce que je veux dire, c'est que je ne pourrai pas toujours protéger ton cul. Protège la du Reich. 》

Je suis sorti de la voiture avec une boule me déchirant la gorge. Il ne fallait pas qu'il tombe amoureux d'Eve... Je sais exactement comment se déroule ce genre d'histoire. Ils vivront au début dans l'interdit, jusqu'à ce qu'un proche les dénonce à Himmler, et là ce sera le drame. Ces deux âmes seront séparés de force pour ne plus jamais se revoir. Ce genre d'amour ne finit jamais bien, la mort se ramène toujours à un moment ou à un autre.
J'ai pensé à ce que ma femme et mon fils auraient fait à cet instant précis. Cela va à l'encontre de tous mes principes de général, de tous les principes que j'ai moi, en tant que Marinus Strauss-Kahn.
Je suis alors retourner voir Hans, assis sur une motte d'herbe, calepin et stylo à la main.

《 Tu es heureux avec cette française Leyers ?
- Bien sûr que oui, nous le sommes, me répond-il avec assurance. 》

Je n'ai pas répondu, mais je veux que ce gamin soit heureux, qu'il aime et qu'il soit aimé c'est tout ce qu'il mérite. Alors je le protégerai face à Himmler s'il le faut.

Programmés pour tuerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant