Sous la Carapace ( Hans )

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15 février 1943, Saint Nazaire de Ladarez, Hérault, Languedoc-Roussillon, France.

Les trois dernières semaines ont été exténuantes, sincèrement épuisantes. Il y a eu tellement d'évènements auxquels je devais me consacrer que j'en ai oublié de parler à Marinus de mon pauvre frère coincé sur le front de l'Est.
Entre l'exécution de Claude Dubois, son fils introuvable et déchu de sa nationalité française, les trois collègues de Marinus morts, la panique générale causée dans le village et qui a duré...
Et bien évidemment la vengeance de mon mentor, une terrible vengeance comme ils les aiment pour me venger et venger ses frères d'armes. Il a pris toutes les personnes qu'il soupçonne d'être résistant et les a envoyé par fourgon à Drancy. Ils seront ensuite envoyés à Auschwitz, en Pologne.
Je reconnais que c'est peut-être la première fois que je vois vraiment la violence de la guerre, la volonté de ce village à rester français, le cran et le charisme qu'il faut avoir pour rester allemand. Rester l'allemand que le Fürher nous a appris à être.

Je m'en rends compte maintenant qu'il faut être fort, je me rends aussi compte petit à petit que les allemands ne tiennent pas le rôle des héros comme les hauts dignitaires nous le faisaient croire. C'est nous les méchants, comme les français disent, on est les "Boches". On sera les méchants dans les histoires pour enfants, surtout avec le Reich qui décline légèrement. Alors il faut encore plus de force mentale et physique pour tenir le mauvais rôle de l'histoire.

Me voilà à la Kommandantur du village, faisant le point sur tous les Saints Nazariens, réfléchissant sur qui pourrait être Juifs ou opposants. Pire, Résistants. Cette sale race qui infecte le village petit à petit, c'est la Peste !
J'ai travaillé sur les dossiers de tout le monde jusqu'à midi. Après je suis rentré chez les Dechambord.
C'est Marinus qui avait ordonné au grand-père de me prêter une couche, à la base c'était pour vérifier si Eve n'est pas une Résistante, ce que je doute honnêtement. D'ailleurs celle-ci est partie depuis quelques jours rendre visite à une cousine apparemment, c'est ce qu'elle a dit à son grand-père, je l'ai entendu.

Je me suis arrêté sur la place pour respirer un coup, exténué par les derniers jours passés endormis sur les bureaux, à m'engueuler avec les autres officiers, mêlé à ça l'inquiétude pour mon grand frère et ma famille à Berlin.
Je suis interrompu de mes rêveries par la fumée d'une cigarette pas loin de moi. C'est Marinus à côté, qui paraît tout autant rêveur, ce qui ne lui ressemble pas.

《 Vous allez bien Marinus ?
- Mieux depuis que je t'ai vengé Leyers, même si je n'arrive pas à comprendre ta décision vis-à-vis de ce Maxence ! Regarde maintenant il a fui je ne sais où.
- Marinus, j'y suis allé en finesse comme vous me l'avez enseigné !
- Qu'est-ce que tu dis petit ?
- Écoutez, Maxence est probablement quelque part en train de fuir mais n'oubliez pas. C'est un Résistant, j'ai appris par quelqu'un que la pire des choses pour des Résistants, même avant la mort, la pire douleur est de ne plus être considéré comme français. La même douleur qu'on éprouverait si nous n'étions plus considérés comme allemands, sauf que nous sommes bien plus forts.
- Je ne te croyais pas si intelligent Leyers ! rigole-t-il en fumant. 》

On est restés sur la place pendant un moment sans rien dire. Je ne sais pas par où commencer pour la situation délicate de mon pauvre Adolf. Alors je me suis lancé avec honnêteté, sans filtre.

《 Marinus ?
- Ja ?
- Pourriez-vous me rendre un service ?
- Dis moi.
- Est-ce que vous connaissez mon frère Adolf Leyers ?
- C'est un officier de la Gestapo ?
- Oui, exact.
- Que veux-tu ?
- Il m'a adressé une lettre, disant qu'il a été muté sur le front de l'Est. Sauf que je sais qu'on ne revient presque jamais du front de l'Est. Alors je voudrai savoir si vous pourriez pas aider mon frère à sortir de là s'il vous plaît.
- Hum... soupire-t-il, ses yeux bleus devenant bien sombres.
- Dois-je prendre ça pour un oui ?
- Leyers écoute, dit-il à voix basse. Je vais te dire quelque chose que je devais normalement garder pour moi. La Wehrmacht et la SS ont perdu Stalingrad sur le Front de l'Est, le 3 du même mois. Alors si ton frère est toujours vivant, il y a deux options petit. Soit il est coincé chez les communistes, soit il est sur le chemin du retour. Mais moi, là à mon échelle, je ne peux rien faire du tout.
- Je vous remercie. 》

Programmés pour tuerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant