Ne te retourne pas ( Marinus )

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30 avril 1944, Le Perthus, Pyrénées-Orientales, France.

《 Allez Leyers plus vite tu m'as pas habitué à ça ! ai-je râlé. 》

Mon jeune étalon a accéléré très efficacement, sans broncher il a accéléré le pas très efficacement. Perché sur mon vélo au bord de la route, je me suis laissé glisser au rythme de Leyers attaché au petit véhicule via une corde. C'est lui qui mène la cadence.

Je l'ai entraîné pendant des mois je suis resté avec lui, à parcourir les montagnes de chaque département, fuyant les voitures nazies mais j'étais là à chaque fois. Je l'ai préparé physiquement et mentalement à ce qu'il pourrait lui arriver s'il était arrêté. Je l'ai malmené, engueulé, secoué, poussé à bout. Mais tout ceci a porté ses fruits. Leyers a changé, ce n'est plus l'Oberfürher coincé dans les bureaux, il est devenu ma plus grande fierté, un vrai homme, un vrai de vrai. Maintenant, il connaît deux des trois aspects de la guerre. Il connaît l'aspect bureaucratique de l'Occupation, l'aspect préparatoire de nos entraînements, et le dernier... Le front, que j'espère il ne la connaîtra jamais cette expérience. J'y ai déjà probablement perdu Nikolaus, je n'y perdrai pas Leyers. Je sais que je pourrai sombrer dans la folie meurtrière, je ne m'en relèverai pas.

J'ai déjà beaucoup de mal à me dire que mon élève ne sera jamais plus mon élève, il a dépassé ce stade là. Il est devenu plus fort et courageux que ce que j'aurais pu lui enseigner. Ce gamin battu par son père... a marqué ma vie à un point ! C'est devenu le fils que j'aurai jamais, une lumière qui est apparu dans ma vie quand je ne croyais plus à rien. Hans Leyers est venu vers moi avec cet air de minot effrayé par la réalité du monde. Petit à petit j'ai cédé, je lui ai porté bien plus d'estime que j'aurai pu en porter un autre. Je ne sais pas s'il m'apprécie honnêtement, je lui ai jamais posé franchement la question mais même si ce n'est pas le cas je veillerai toujours sur lui c'est ainsi.
Me figurer qu'aujourd'hui ce sera la dernière fois que nous nous voyons avant la fin de la guerre... C'est dur oui, plus dur que ce que je le pensais mais c'est ainsi. J'ai tout organisé depuis des mois, j'ai organisé toute sa fuite et si je suis encore vivant je le reverrai en Espagne à la fin de tout ce merdier. En attendant, je ne vais pas l'affecter en me montrant sensible, je reste comme je suis jusqu'à ce qu'il s'en aille. Qu'il ne se retourne pas.

Nous avons continué à courir et rouler jusqu'au fameux point de passage, ce fameux point où mon acolyte va me quitter. Un petit stationnement d'automobiles d'une dizaine de places. Je ne sais pas pourquoi je suis ainsi... aussi larmoyant sachant que c'est le mieux ainsi. Pour être franc, je ne sais plus quelle était ma vie avant que Leyers pointe le bout de son nez. Depuis 1942, même... depuis 1936, j'ai ce gamin sous mon aile. J'ai promis de Le protéger, nous sommes toujours ensemble alors comment reprendre un quotidien normal sans lui ? Je n'en sais rien. Je sais juste qu'en rentrant, je vais me charger de protéger la petite Eve qui doit se ronger les sang au village, encerclée de soldats nazis. J'ai quand même assuré sa protection bien que je ne sois pas là, j'ai posté des gardes devant chez elle, et j'ai ordonné à Pino Saviano de prendre de ses nouvelles le plus souvent possible. Je ne veux pas que Leyers connaisse le deuil que j'ai connu pour Maria, c'est terrible, on ne se remet jamais de ce genre de souffrance.

Arrivés au fameux lieu que je compte maudire jusqu'à la fin de la guerre, nous nous sommes libérés de ce tas de rouillé pour se poser un peu et déblayer les affaires du petit. Il est resté muet pendant quelques minutes, se grattant les mains avec ardeur.

《 Arrête avec tes mains tu vas ressembler à un tas de nerfs après.
- Désolé... 》

Il s'est mordu les lèvres. J'ai bien vu que Leyers se retient de pleurer, moi aussi d'ailleurs. Mais je ne veux pas le voir pleurer pas là, pas comme ça... S'il craque devant moi je ne sais pas ce que je ferai. Je trouverai sûrement un autre plan B fait à la va vite sur un coup de pression qui mettrait sa vie en jeu. À quoi ça servirait ? Rien !
D'un geste maladroit je lui ai proposé de la bière qu'il a pris et bu avidement.

《 Pas trop Leyers ! Faut que tu marches droit jusqu'à Frías* !
- Je suis raisonnable vous savez, a-t-il tenté de rire. 》

Nous avons ri, parlant pendant de longues minutes des petites anecdotes drôles, se moquant de nos caractères en 1936, rigolant de tout et de rien, se remémorant que de bons souvenirs qui ne s'effacent jamais.
J'ai regardé l'heure sur la petite pendule dans la poche de ma veste.

13h02. Leyers doit commencer à partir à 13h20 et je dois partir quand il n'est plus dans mon champs de vision.

《 Leyers... Je ne sais quoi dire honnêtement, je n'ai jamais été doué pour les adieux.
- Ce ne sont pas des adieux Marinus, mais que des au revoir, me corrige-t-il la voix nouée par une émotion inconnue.
- Peut-être que je serai mort de vieillesse quand la guerre sera terminée !
- Ouais bien sûr ! Et peut-être que moi après la guerre je viendrai te voir en mini jupe !! C'est impossible Marinus, Dieu avec nous n'oubliez pas.
- J'espère que ton Dieu il va te protéger en Espagne. 》

Leyers a souri en m'assurant que son cher Dieu auquel je ne comprends pas et de son côté, répétant sans arrêt que si l'on a la foi alors rien ne nous arrête. Ma foi, je ne crois pas en Dieu, mais si ce petit y croit c'est qu'il doit avoir de bonnes raisons de le faire.
Je l'ai harcelé de questions, voir s'il a tout les faux papiers d'identité, son sac de nourriture, d'habits, ses armes bien cachées, de quoi écrire...

《 Bon si tu as tout c'est parfait, ai-je conclu me rendant compte qu'il va devoir partir.
- Marinus, dites à Eve que je l'aime en rentrant et que tout ira bien.
- J'y transmettrai le message. Promis.
- Vous me dites quand est-ce que je dois y aller ?
- Ah attends ! Je t'offre ma pendule tiens, lui ai-je dit en la sortant et lui remettant dans sa poche. Maintenant mon garçon tu es prêt.
- Vous allez me manquer Marinus.
- Oh s'il te plaît fais pas ton sensible hein... ai-je soupiré mais sachant que c'est tout aussi réciproque.
- Je ne suis pas sensible, rit-il, mais je suis réaliste. Vous allez me manquer beaucoup.
- Tu me manqueras aussi Leyers.
- Vous m'avez...
- Non pas de discours surtout !
- D'accord tant pis pour moi.
- Bon allez t'as gagné viens là ! 》

Il mérite bien que je cède. Je l'ai pris contre moi pour une accolade, même si je ne sais pas en faire je sens au fond de moi que cela fait du bien.
Avoir ce gamin de 23 ans dans mes bras, j'ai l'impression d'être vidé de toutes ces émotions nocives qui me bousiller mon quotidien.

《Tu l'auras ton accolade Leyers ! ai-je ri pour la première fois, encore dans les bras l'un de l'autre.
- Ah non Marinus à ce rythme là c'est plus une accolade mais un câlin !
- Tant pis. 》

Je lui tapoté la joue, le faisant promettre de m'écrire dès qu'il peut et de prendre soin de lui avant de prendre soin de quiconque là-bas. Je ne veux pas qu'il lui arrive quelque chose à Frías, en cas que, j'ai les moyens pour faire raser le village entier.

《Bon Marinus ! Je crois que c'est le moment où je commence à m'en aller, remarque-t-il en souriant pour ne pas pleurer.
- Allez va Leyers !
- Je vous...
- Non c'est faux ! Va t'en vite sans te retourner. 》

Il a obtempéré sans rien dire, commençant à marcher vers les petits villages espagnols. Mon ventre s'est noué quand Leyers s'est éloigné de mon champs de vision. J'ai toujours été habitué à la protéger, depuis 1936 je l'ai toujours protégé et là de le voir partir pour je ne sais combien de temps... C'est trop pour moi.
Je lui ai hurlé une dernière fois.

《Ne te retourne pas surtout ! 》

Il a acquiescé avec un pouce en l'air, toujours sans se retourner et il a disparu à jamais. Jusqu'à la fin de la guerre je ne le verrai pas. Dis donc... Quelle sensation étrange est-ce de se retrouver sans ce gamin. Je ne pensais pas que ça m'affecterait de la sorte.
Je savais qu'il allait dire qu'il m'aimait, je l'ai senti mais je ne veux pas l'entendre. Je ne veux plus entendre ces mots, surtout pas de Leyers. La seule fois où on me l'a dit, c'était Maria sur cette fichue colline oui... Ces trois petits mots, quand on me les dit, ils s'accompagnent toujours par une tragédie. Alors qu'il ne le dise pas, qu'il ne le dise jamais tant que le Reich est debout c'est le mieux.

Leyers est parti. Allez Marinus sors de ces stationnements !  Me hurle mon subconscient.

Je suis parti à mon tour, je suis remonté sur ce putain de vélo qui nous a amené ici. J'ai pédalé sans relâche jusqu'à ma voiture sur un groupe de places d'automobiles un peu plus loin dans les Pyrénées-Orientales.
Je n'ai pensé à rien pour le moment, je ne veux pas commencer à m'imaginer les pires scénarios pour Leyers. Je dois me figurer qu'il arrivera à fuir seul dans cette commune espagnole. Il y arrivera je le sais, c'est quelqu'un de fort. Mais j'ai peur pour lui oui. J'ai peur pour mon fils.

Programmés pour tuerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant