Une âme ( Maxence )

38 6 4
                                    

29 juin 1944, Buchenwald, Weimar, Grand Reich Allemand.

《Nom et profession !!! a hurlé le garde en me jettant un seau d'eau gelé au visage. 》

Je n'ai pas répondu, commençant tout doucement à supporter la froideur douloureuse. Ce froid qui transperce l'âme, qui torture l'esprit, qui incite à ne plus résister. Mais je n'ai pas cédé, je n'ai jamais cédé depuis 1939, ce n'est pas maintenanr que je le ferai. Je suis à Buchenwald, cela fait un mois et quinze jours que je suis coincé là-bas, dans cette salle affreuse, seul et sans Adolf. Je me moque pas mal de subir mille et une tortures, mais je veux que mon meilleur ami soit loin de tout ça. Je veux qu'il aille bien, mais je veux avoir de ses nouvelles peu importe le prix.

J'ai regardé le SS droit dans les yeux, les moindres traits de son visage laid, déformé par ce manque d'humanité et de réflexion propre. Je ne l'ai pas quitté des yeux, j'ai vu ses grands yeux bleus s'écarquiller. Il a aboyé je ne sais quoi en allemand avant de s'approcher.
Les muscles endoloris, j'ai essayé de reculer malgré les menottes de fortune me tenant les bras en l'air. Le Boche a ri, prenant mon menton entre ses doigts humides de mon sang.

《Tu oses me regarder ?! me demande-t-il en allemand, pensant que je n'avais pas compris cette phrase simple.》

Je me suis tétanisé de tout mon être, me rappelant mon face à face avec le général Strauss-Kahn en 1942. J'étais seul, aussi faible et impuissant face aux nazis. Rien n'a changé, je me suis toujours battu et toujours retrouvé prisonnier.
Je revois le Général, comme ce SS, penché au dessus de moi, coiffé de ce sourire vainqueur, pensant que je vais craquer.

《Ja, ich wage es, dich anzusehen. (Oui, j'ose vous regarder).
- Dreckiger Bastard! (Sale bâtard !)

J'ai ri avec rage, ri face à la stupidité du SS, toujours aussi impuissant face à une quelconque résistance mentale. Le garde s'est encore rapproché, faisant glisser avec poigne une lame rouillé sur mon torse. J'ai serré les dents, toujours dans les yeux du SS. Il fait ça depuis des heures, à me demander mon nom, ma profession... Ce Boche ne sait pas qu'il pourra me torturer jusqu'à la mort mais je ne céderai jamais. Jamais je ne leur dirai qui je suis. Jamais.
Le SS s'est tourné avec soumission quand un autre Boche est entré dans la pièce, ne m'accordant même pas un regard.
C'est un homme mûr, qui doit avoir la quarantaine d'années.

《Oberschütze Wissenberg ?!
- Ja Kommandant !
- Libérez le, il ne dira rien et on a plus besoin de le savoir, ordonne alors le plus jeune.
- Vraiment Kommandant ?
- Ne me faites pas répéter une seconde fois.
- Ja Kommandant.
- Donnez lui un uniforme. 》

Le jeune garde soumis est venu me libérer, j'ai bien failli m'écrouler au sol, de sentir son corps se détendre après des heures tendus comme un arc. C'est dur. Il m'a jeté un uniforme gris rayé au visage, qui a lamentablement atterri dans de l'eau boueuse au sol.

《Habille toi et suis moi.
- Il est tâché de sang, ai-je fait remarquer vraiment écœuré.
- C'était un détenu qui pouvait pas s'empêcher d'ouvrir sa gueule pour rien. Habille toi sinon tu restes à poil. 》

Malgré toute la bonne volonté du monde, je ne peux quand même pas renoncer à cet uniforme, bien que j'ai l'impression que l'âme du détenu le hante je l'ai enfilé en une fraction de secondes.
J'ai suivi le garde au milieu des grandes baraques, des hommes squelettiques luttant face à la mort sous le commandement des kapos je crois bien. Je n'ai pas pu regarder plus de ce carnage, le cœur au bord des lèvres, me rendant compte à quel point l'humanité a changé. Comment des hommes peuvent infliger autant de supplices à un autre ?

《Peu importe qui tu es, maintenant tu n'es plus rien tu entends ? Maintenant tu portes un numéro.
- Lequel ? l'ai-je nargué, voyant son incapacité à être le bon nazi des camps.
- EVE1942. 》

J'ai acquiescé la gorge nouée face à ce numéro, ce code qui me rappelle tous les souvenirs avec Eve en France. Est-ce fait exprès bordel ? Cette femme me manque plus que je ne l'aurai imaginé, que ce soit elle, Freya ou Adolf. Le manque es trois personnages creuse un vide en moi profond.

Je n'ai pas cherché à comprendre, plongeant avec le nazi dans un grand dortoir rempli à ras bord d'hommes, tous aussi maigres et morts intérieurement. Ils sont tous allongés, certains dorment, certains sont morts, d'autres se tournent sans arrêt en gémissant de douleur, et quelques dizaines me regardent. Leur regard me glacent le sang, je sens tout de ce qu'ils ressentent, la puanteur de cet endroit, la mort, la mort qui pollue l'air et pollue les âmes. Je ne les ai pas regardés, de peur de ne pas m'en remettre.

《Tiens mets toi là, me fait signe le nazi en montrant un lit de fortune en paille. 》

Je me suis frayé un passage au milieu des détenus, et sans même m'en apercevoir je me suis assoupi, déjà exténué par cette journée.
J'ai à nouveau ouvert les yeux vers la fin de la soirée, vers 18h je dirai vu la luminosité peu intense du soleil.

《Allez sales PD sortez de là !!! 》

Incrédule par cette violence soudaine j'ai regardé autour de moi les détenus qui ont commencé à se lever. Je n'ai pas tout de suite compris ce qu'il se passe autour de moi, un homme est venu me voir, une main posé amicalement sur mon épaule avant de me dire.

《T'es français toi hein ?
- Oui.
- Viens c'est l'heure.
- L'heure de quoi ?
- D'aller nettoyer les rails. On est avec un autre groupe tenu par un autre kapo.
- D'accord.
- Tiens toi tranquille, ne parle à personne et ça ira pour toi.
- Merci. 》

J'ai suivi l'autre français au milieu des détenus, sous les flos d'injures des kapos, frappant avec sa matraque au hasard les pauvres hommes devant nous.
J'ai suivi le mouvement jusqu'aux rails, déjà commencées à être nettoyées par l'autre groupe. Je les ai observés jusqu'à ce que nous nous mettions au travail. Ces pauvres gens... Ils sont rachitiques, le visage creux, les yeux tombants, le dos avachi, les os saillants... Creusant pourtant avec plus de force qu'un individu en parfaites conditions.
Je n'ai pas pu quitter ces hommes de yeux, prenant tout de même garde à ne pas attirer l'attention du kapo.

Un de ce que j'appellerai un mort vivant s'est effondré de fatigue, et à la seconde près, son crâne déchiré par une balle.
Il y en a eu trois cas comme celui-là. Je n'ai pas pu bouger, incapable de réagir ou de faire quoique ce soit. Qu'est-ce que je peux faire là ? Je n'ai plus mon rôle de Résistant patriote, courageux et impitoyable. Je suis une proie, seule dans la Fossé du Diable.

Programmés pour tuerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant