le Souffle ( Eve )

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1er février 1944, Saint Nazaire de Ladarez, Hérault, Languedoc-Roussillon, France.

Hans est parti, je le vois encore chaque nuit passer le pas de la porte. Je voulais tellement qu'il revienne, qu'il y ait un miracle divin et qu'il revienne en courant vers moi, que la guerre ne nous sépare pas. Rien. Il est parti depuis trois longues journées, je languis déjà qu'il rentre. Hans me manque. Tout de lui me manque. Le soir se fait bien monotone seule comme une vieille fille, j'avoue parfois paniquer quand je j'entends pas le talon du cuir de ses bottes grincer dans les escaliers, ou quand je ne l'entends pas râler le marin en partant tôt. Cela me manque de ne pas faire la cuisine avec lui, le voir rater les spécialités françaises comme un gamin, nous voir nous chamailler avec de la pâte à crêpes tels des enfants... La maison est bien plus triste, sans émotion depuis qu'Hans et Grand-père n'y sont plus.

Je ne pensais pas réussir à me lever le matin, à avoir la force et la motivation pour continuer ma vie comme si de rien n'était, mais je l'ai fait car mon grand-père me l'a enseigné. Il m'a toujours appris à croire en moi, à ne jamais baisser les bras face aux difficultés de la vie car elles nous laisseront sûrement quelque chose de beau. Alors je fais avec, espérant à chacun de mes réveils que ce sera le dernier sans lui à mes côtés. Au final, j'y arrive, je me dis que chacune des fois où je me couche me rapproche de l'instant où je retrouverai Hans.

Cela fait également trois jours que les troupes d'Himmler sont arrivées au village, Maxence avait raison. Elles sont là pour Hans et moi, il y a mon père avec eux. Depuis je ne sors plus, j'ai bien trop peur de le croiser face à moi, habillé de cette uniforme que je crains comme la peste. J'ai trop peur de craquer face à lui, même s'il est comme le Capitaine Jäger, c'est mon père. Mon père qui a laissé ma mère et mes sœurs je ne sais où... Non, je dois arrêter d'être sensible, j'ai promis à Maxence et à mon grand-père de me battre jusqu'au dernier souffle de cette planète contre la présence nazie, cette maudites espèce qu'il faut éradiquer. Jean Dechambord n'est plus français, il est allemand, mais un mauvais allemand... J'ai vraiment hâte qu'ils se rendent compte que leur cible n'est plus ici, qu'ils repartent au plus vite, la présence de mon traître de géniteur me tétanise.

J'ai passé ma journée à faire le ménage, partout sauf dans la chambre d'Hans et de mon grand-père. Je veux que leur havre soient intactes pour leur retour, s'ils reviennent un jour.
Me voilà tranquillement installée dans les escaliers, comme j'en avais l'habitude lorsque Papa et Maman criaient sans s'arrêter. Pourquoi suis-je ainsi ? J'ai violemment sursauté en entendant la porte s'ouvrir. Ne sachant pas quoi faire d'autre, le cœur battant à toute allure je me suis réfugiée à l'étage, les poumons prêts à exploser.
C'est des voix, des voix allemandes.

《 Allez Eve ma chérie Papa est de retour !!! 》

Seigneur... J'ai essuyé en silence les larmes tombant de mes joues. C'est mon père avec ses hommes, là, sous mon toit. J'ai laissé ma main contre ma bouche, cachée dans le placard, me retenant de hurler à pleins poumons. J'ai senti les escaliers grincer sous son poids, chacun de ses pas me fait tresaillir.

《 Eve tu as passé l'âge pour jouer à cache cache non ? insiste-t-il en marchant un peu partout dans l'étage. 》

Je me suis ratatinée en boule au milieu des vêtements, sentant son souffle au travers des planches en bois du placard.
Je me suis vue mourir en deux secondes quand mon père a ouvert les portes en souriant.

《 Trouvée ma fille. 》

J'ai levé les yeux vers lui et crié quand il me saisit par les cheveux pour me traîner sur le sol, j'ai battu les mains dans les airs cherchant désespérément à me défendre face aux rires mesquins de ses collègues.
Je me suis tétanisée en recevant sa grosse main dans le visage, me rendant compte que ce n'est plus mon père qu'il y a en face de moi mais un monstre, un monstre dressé par Himmler et Hitler.

《 Bon tu vas te calmer sale traînée !!!
- Pourquoi...?
- Pourquoi quoi ??
- Pourquoi revenir Jean ?
- Jean ? C'est Papa moi non à ce que je sache !!! hurle-t-il en me broyant le bras.
- Tu es plus mon père, tu es un traître de Boche !!!
- Laissez-nous Messieurs je vous prie.
- Bien Herrn Dechambord. 》

J'ai essayé de me sortir de son étreinte puissante qui m'a amené jusque dans la chambre de grand-père.
Il m'a installé de force sur son lit avec une hargne féroce quasiment effrayante, je l'ai regardé faire. Ce n'est plus mon père, mon héros d'enfance est mort, il a laissé place à un SS sans pitié qui se moque de tout et de tout le monde.

《 Que s'est-il passé alors pendant mon absence ma chère fille ? Tu ne racontes rien à ton Papa ?
- Ton père s'est fait déporté je ne sais où si ça t'intéresse. Tu sais celui qui t'a donné la vie avec Mamie Margot.
- Mise à part ça ?
- Mais tu es vraiment sans cœur ! me suis-je ahurie en reculant. C'est ton père !!!
- Mon père était un incapable dépourvu de jambes, il était toujours dépendant de quelqu'un ma chérie écoute il vaut mieux comme ça. Ça fera des vacances quand on reviendra.
- Tu es un monstre.
- Oui, mais il faut l'être si tu veux survivre, m'a-t-il répondu avec un clin d'œil. 》

Il a insisté pour que je parle des Résistants, pour que je parle de Maxence, de Rose, de Pino, de Hans mais je n'en ai rien fait. Je suis restée de marbre malgré l'horrible envie qui s'empare de moi, la petite partie de mon être qui ne veut pas lutter face à son père.
Jean a compris que je ne céderai pas, j'ai versé quelques larmes du choc, il s'est levé en hurlant comme un fou, jetant tous les objets de sentiments de Papi au sol, m'insultant de tous les noms. L'estomac noué, prise d'une bague d'adrénaline, sachant que cela va mal se finir, je me suis levée en hâte mais non j'ai crié victoire trop vite. Mes ongles ont râpé tout le sol quand j'ai senti sa grosse main attraper ma cheville et me tirer vers lui.

《 Lâche moi je t'en supplie !!! 》

Hans où que tu sois aide moi je t'en prie.... Que Dieu soit avec moi.

Je crie, j'ai crié violemment face à sa force, la puissance de ses coups s'abattant comme une pluie orageuse sur mon visage.

《 Tu vas me dire où il est Leyers je te le dis sale traînée ! Je vais t'exploser !!!
- Herrn Dechambord ? Nous devons y aller.
- Tu as du bol ! Je reviendrai ma chère fille pour te punir de ton irrespect. 》

J'ai haleté encore couchée au sol, le voyant partir aux aguets, craignant qu'on le voit ainsi face à sa fille. Je me suis recroquevillée sur moi-même, lâchant prise quelques secondes. Que vient-il de se passer réellement ? Je ne l'ai pas compris moi-même...
J'ai attendu quelques minutes pour me ressaisir et me relever, allant me refaire une beauté. Mes yeux sont rougis par les larmes, deux horribles hématomes recouvrent mon œil ainsi que le bas de ma lèvre inférieure, une fente sur mon nez laisse couler du sang presque noir. J'ai mis un moment avant de me soigner, les esprits toujours malmenés par les événements.

Je me suis regardée dans Le miroir, le visage endolori par la dure réalité que toute cette immondice sur moi,.c'est mon père qui l'a faite lui-même, de son propre gré.
Seule, en rangeant le bazar des affaires à mon grand-père je me suis rendu compte que dans ces temps compliqués, même notre propre famille biologique n'est pas digne de confiance. Quelle triste réalité...
Une fois ma tâche accomplie, je me suis posée sur le lit d'Hans, serrant fort contre moi une de ses chemises, fermant les yeux me rendant dans un monde bien meilleur ou Dieu ne nous arrache pas l'espoir de vivre.

Programmés pour tuerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant