Mon héros ( Marinus )

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25 avril 1945, Front de l'Est, Varna, Bulgarie, URSS.

Le vent souffle, un vent amenant de très sales odeurs de mort, de sang et de puanteurs âcres des obus. Cette brise chaude elle souffle, elle souffle violemment, nous fouettant le visage, martyrisant notre peau grisâtre de saleté. Les éléments se réveillent, la pluie tombe, les flammes grandissent mais restent stables, le vent et la terre remuent partout. La Terre nous punit, elle nous punit de nous entretuer tous sans motif valable. Aucun homme digne de ce nom n'aurait été capable d'une telle violence depuis 1939. C'est trop, c'en est assez. À quoi bon continuer ? Quel est le but de tout cela ? Peut-être sommes-nous destinés à nous déchirer les un les autres...

Je me suis allumé une cigarette, installé sur un débris de toit en décomposition, les yeux rivés vers le côté Soviétique. J'ai soupiré, sentant la chaleur de la clope prendre mon âme. Ça fait du bien. J'ai observé en face de moi, soupirant à nouveau, me rendant compte que de l'autre côté aussi il y a des hommes comme eux. Des hommes qui ont des femmes et des enfants, qui angoissant chaque jours à l'idée de mourir, des soldats qui ont des supérieurs, qui aiment et ressentent tout ce que ces jeunes soldats ressentent, la mine triste.

Je me suis retourné vers eux, cherchant Klaus du regard, lui aussi a du mal à tenir le coup. Plus personne n'a la force de continuer quoique ce soit face aux russes, toujours plus nombreux et forts, alors que nous les allemands, on est pris en sandwich par les Alliés et les Ruskofs. On dépérit à vue d'œil, nos nombres diminuent malgré notre lutte. On en peut plus c'est ainsi. On moura tous ainsi, on ne peut plus le nier. Je n'ai pas peur de la Mort, ce n'est qu'une continuité de la vie, la partie facile, le repos éternel après des décennies à avoir souffert.

Je me suis levé, écrasant le mégot dans la neige, je suis allé m'asseoir un peu plus loin à côté de mon fils. J'ai peiné à ne pas tirer une mine dégoûtée face à sa brûlure purulente, épaisse, large et infectée. Si je pourrai lui prendre avec mon œil en moins auquel je me suis bien habitué, je le ferai.

《 Comment vas-tu Klaus ?
- Comme un général qui attend faiblement une offensive. Une offensive où je sais qu'il y aura aucun survivant.
- On sera morts en héros.
- Non, vous mourez en héros Marinus car vous avez toujours été vénéré et respecté de tout le monde. Moi je ne veux pas mourir, j'ai deux femmes à rejoindre... soupire-t-il.
- Deux femmes ? me suis-je permis avec un petit rictus.
- Je ne vous en ai donc pas parlé ?
- Absolument pas ! Je suis tout ouïe. 》

J'ai souri, voyant que Klaus veut bien me partager son histoire.
Il m'a raconté toute l'histoire, de ses débuts sur le Front de l'Est à Kiev, la découverte de la ferme abandonnée, comment il s'est occupé de cette fameuse Eliza et sa fille Saskia. Mon fils a tenu à ces femmes, ça se sent dans sa voix tremblant lorsqu'il est venu à parler de ce fameux moment en 1944, où les nazis ont lancé la politique de la terre brûlée.

《 Les as-tu retrouvées après ça ? ai-je demandé, touché en connaissant bien ce genre de douleur qu'est de perdre une femme et un enfant.
- Non jamais. Elles doivent être mortes à l'heure qu'il est, c'est ma faute Marinus je ne me suis pas assez battu pour elles alors que j'avais promis de revenir les chercher...
- Klaus... ai-je souri en posant ma main sur son épaule. Je pensais la même chose quand j'ai perdu ta mère, et quand je pensais t'avoir perdu toi également. Mais si certaines choses arrivent, c'est le destin et on ne peut pas changer Le destin. Puis c'est ce genre d'épreuve dure et qui te paraisse infranchissable qui te rendra plus fort et robuste face à cette réalité incroyable et cruelle. Tu ne peux pas vivre dans le passé cher fils, j'ai vécu un pied dans le passé et ça va te détruire. Bats toi encore un peu plus.
- Se battre pour qui et pour quoi Marinus ? On va tous mourir ici par la main des Soviétiques il faut faire avec.
- Parce que tu es mon fils Nikolaus Strauss-Kahn ou Schumacher comme tu veux, tu es mon fils et tu Le resteras jusqu'à la dernière poussière de matière. Je sais qu'au fond de toi il y a encore l'étincelle du guerrier qui brille, je le sais car je l'ai moi aussi. Mais tu es un chef de corps d'armée, tu as des hommes à protéger et à motiver pour se battre. Tu ne peux pas lâcher prise et te laisser abattre. Pas encore. 》

Programmés pour tuerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant