Mensonge ( Hans )

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5 août 1943, Lyon, Rhône-Alpes, France.

Marinus est de très bonne humeur en ce moment, il se remet vite de son accident à la Kommandantur en se reposant chez Mme Dubois. Je suis très content pour lui, il reprend du poids de la bête sans travailler, c'est le général Schumacher qui assure la relève du village le temps que mon mentor se rétablisse. L'ancienne mairie allemande se reconstruit elle aussi, les soldats s'y mettent corps et âme pour avoir un édifice au nom de notre Fürher.

Pour ma part, j'ai décidé de prendre un peu de recul depuis les événements de ces derniers jours. Je rêve chaque jour de l'interrogatoire d'Eve. Je sais qu'elle a menti à tout le monde, c'est quasiment un talent chez elle je n'en reviens pas comment elle a réussi à berner les deux généraux et Jäger ! C'est une Résistante, une très bonne Résistante. Et j'avoue que malgré ce sentiment de trahison qui me torture, je ne peux m'empêcher de l'admirer. J'admire le fait qu'Eve ait réussi à braver toutes les règles pour l'honneur de la France, son pays. Au fond de moi, je sais que j'aurais fait la même chose en situation inverse, je me serai battu corps et âme pour l'honneur de ma nation quitte à coopérer avec l'Ennemi. Mais... je n'ose plus la regarder, je sais que c'est elle qui a tué ces hommes allemands pour sauver Maxence, qui a trafiqué la route avec lui, je sais au fond de moi que jamais Eve ne m'a réellement apprécié ou désiré.

J'ai vu chaque parcelle de son corps, chaque petite cicatrice d'enfance, j'ai embrassé ses lèvres douces comme je n'en ai jamais embrassé. Je l'ai vue dormir avec mes affaires d'hiver dans mon lit quand je rentrais tard, je l'ai vue me désirer, me combler à sa manière. Je l'ai vue s'inquiéter pour moi quand je rentrais pas à l'heure, j'ai contourné de mes doigts chaque relief de son corps, elle a parcouru mon corps elle aussi. Y avait-il seulement quelque chose de réel dans tout ça ?

Pour évacuer toute cette pression, je vais rendre visite à Klaus Barbie, l'officier de police. Ce n'est pas tellement un ami à moi je ne le connais pas, mais je suis sûr qu'il peut me fournir les renseignements nécessaires qu'il me faut.

Le général Nikolaus Schumacher, je ne le supporte pas cet homme, sincèrement je le déteste d'une manière bien différente que la haine que je porte à Maxence. Il est parfait ce gars, pas un moindre faux pas, le parfait sosie de Marinus en plus jeune.
Cet homme là, il est tout ce que je n'arriverai jamais à être ; grand, classe, imposant, juste, loyal, irréprochable...
Au fond de mon petit cervelet qui réfléchit sans arrêt, je sais que ce Nikolaus est plus qu'un général venu de Lyon. La façon dont Marinus le regarde, on dirait qu'il couve un trésor, et Schumacher c'est pareil, il bade mon mentor comme un héros. On croirait qu'ils se connaissent depuis des années déjà alors que Nikolaus est arrivé y'a pas un mois.

Je vais trouver ces renseignements auprès de Klaus Barbie, c'était son ancien collègue alors je suppose qu'il pourra me répondre.

J'ai patienté durant de longues heures dans la grande Kommandantur de Lyon, incroyablement belle et bien construite. Je me demande si un résistant aurait eu le cran de la faire sauter quand elle était remplie de vies humaines.
L'officier de police se fait désirer je pense, une secrétaire m'offre un whisky pour me faire patienter. Je commence à perdre justement le peu de patience qui me reste. Qu'il se bouge là Herrn Barbie, je ne vais pas m'énerver pour mon séjour où je me ressourcerai !

《 Standartenfürher Leyers !!! 》

Je me suis retourné vivement vers la voix masculine légèrement cassée par un excès d'alcool. C'est Barbie. Il s'avance vers moi avec toujours ce même air de garçon innocent, pourtant tout le monde sait qu'il commet les pires atrocités.
L'officier me salue avec une accolade amicale, alors que c'est la première fois que l'on se voit.

《 Comment vous connaissez mon nom ?
- T'es pas le chouchou de Strauss-Kahn toi ?
- Euh...
- Bon bref on s'en branle, c'est Strauss-Kahn qui a parlé de toi en bien à tout le monde. 》

Le policier m'a emmené dans une pièce privée lorsque je lui ai fait part du but de ma venue ici.
Nous nous sommes installés face à face autour d'un bureau un peu craqué de çà et là.

《 Vous connaissez le général Schumacher ?
- Bien sûr. Pourquoi Standartenfürher ?
- Je sens qu'il y a quelque chose qui cloche avec ce gars depuis qu'il est arrivé dans l'Hérault.
- Ah bon ? sourit-il, comme ayant fait aboutir une mission.
- Ja. Il se pointe comme ça et il a amadoué tout le monde. Je veux des réponses Klaus.
- Oh Hey Colonel on se calme ! C'est quoi son nom complet ? Car honnêtement je m'en rappelle plus.
- Nikolaus Josef Schumacher. 》

J'ai gardé le silence et ai laissé Barbie sortir des tas de gros dossiers d'une centaine de pages chacun, qui ont l'air de contenir des choses compromettantes. Peut-être vais-je enfin savoir qui est ce type !

《 Leyers ?
- Ja ?
- Si je te dis ce que je veux savoir, il ne vaut mieux pas pour ton petit frère que tu le révèles à qui que ce soit. On s'est compris ?
- Ja. 》

Il m'a tendu les deux pages principales qui peuvent m'intéresser. Je l'ai observé pendant un petit moment avant de lui demander.

《 Vous savez qui est-ce n'est-ce pas ?
- Bien sûr Standartenfürher, je fouille les moindres détails de la vie de mon ancien bras droit. Et si je m'entendais bien avec, je ne dis rien. Allez lis. 》

J'ai obtempéré, silencieux et concentré dans ma lecture. Voilà ce que j'y ai trouvé.

Nikolaus Schumacher.
Naissance : 11 novembre 1918.
Lieu de naissance : confins de Berlin, Brandenburg, Allemagne.
Parents : Maria Volkova.
Origine : allemand.
Formation : passée à Fribourg sous le commandement de Rudolf Hess.
Grade : Gruppenfürher-SS (général de division)

Ce nom... Maria, serait-ce la Maria l'épouse défunte de Marinus ?
Interloqué au plus haut point, j'ai relevé les yeux vers Barbie déçu de je ne sais quoi.

《 Qui est le père ?
- Schumacher nous a dit que c'était un allemand qui l'avait abandonné.
- D'accord... et la femme il s'est passé quoi ? Maria Volkova ?
- Elle est morte en 1934.
- Je vois... comment est-elle morte ?
- Des SS l'ont buté sur une colline je crois car elle était opposante au Reich quelle traînée cette Maria. Dire qu'elle a donné la vie à un des meilleurs généraux du Reich !
- C'est Marinus le meilleur en son domaine.
- Et tu as toujours pas compris Standartenfürher ?
- Je pense que j'ai compris oui mais mon raisonnement est peut-être pas très logique.
- Dis toujours.
- Nikolaus c'est le môme à Marinus hein ?
- Bien ! 》

J'ai vu les quatre murs de la pièce tourner au tour de moi tant ma surprise est grosse. Ce type dont je suis jaloux... c'est le fils à Marinus ? Pourquoi... comment est-ce possible ? Il m'avait dit que son fils était mort... m'aurait-il menti ? Sait-il seulement que Schumacher est son fils ? Est-ce pour cela que je sens une grande connexion entre eux, une connexion innée ?
J'ai eu l'impression de tomber raide au sol, je ne peux rien faire, je suis figé ailleurs, le dossier entre les mains.

《 Standartenfürher Leyers ça va ? Tu vas pas crever sur le tapis en soie au moins ? J'ai répondu à tes questions ?
- Ja, ja merci beaucoup. 》

Me sentant livide, j'ai posé le dossier sur le bureau et me suis enfui à grandes enjambées hors de la Kommandantur. Il me faut de l'air, je n'arrive pas à respirer. Depuis tant de temps que Schumacher est avec son père, s'il faut sans même le savoir, il ne s'en est pas rendu compte ? Ça me ferait devenir fou à lier cette histoire, je me frapperai la tête contre un mur. Je veux savoir la version de l'histoire de Marinus. Je ne peux rien faire sa version à lui.

Je suis monté dans la voiture sans que Pino n'ait le temps de venir m'ouvrir la portière. J'ai fait de vulgaires gestes de main pour lui indiquer de rouler sans s'arrêter, je ne veux plus penser à tout ça. C'est juste de la pure folie ! Je ne peux même pas croire que le fils de Marinus soit vivant, c'est dingue ça !

《 Où va-t-on Hans ?
- On rentre au bercail, j'ai beaucoup de comptes à régler. 》

Programmés pour tuerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant