S'écrouler ( Eve )

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6 août 1943, Murviel-lès-Béziers, Hérault, Languedoc-Roussillon, France.

Je ne sais pas trop comment vivre à nouveau sans avoir peur, sans avoir peur de ne pas voir son grand-père lisant dans son lit, de ne plus être libre, de tout voir s'envoler en une fraction de seconde.
Une partie de moi, une toute partie de moi innocente et optimiste, je me dis que mon interrogatoire au Dock a été oublié, que je ne suis plus une cible pour le Capitaine Jäger mais bon... Je sais que je suis en sursis, il viendra me chercher laissant Papi tout seul. J'espère simplement que je m'en irai en paix avec moi-même, et en paix avec Hans.

J'ai eu beau lutté comme une folle face à lui, résister face à cet homme, résister à cette personnalité fabuleuse que j'ai découvert sous l'uniforme, résister à ses mots doux, résister à ses baisers... Je n'ai pas pu, je n'ai pas pu résister, il m'a totalement envoûté et dévié du droit chemin que je m'étais juré de ne jamais contourner.
Malgré moi, Hans me manque, je l'entends rentrer de plus en plus tard le soir, le craquement du cuir de ses bottes me rassurent inconsciemment, je sais qu'il est là même s'il ne vient pas vers moi. Il ne m'adresse plus la parole depuis l'interrogation... Peut-être que c'est le châtiment que m'inflige Dieu pour avoir osé me faire toucher par un allemand, me prévenant que ce genre d'amour n'est qu'un volcan en ébullition. Jamais nous en ressortiront indemnes. Il y en a toujours un qui se brûlera. Il fallait que je m'y attende et que je sois plus forte...

Je passe la journée avec les Résistants vers Murviel-lès-Béziers, on a une mission sabotage de pont du Corbeau pendant la journée, avec un sabotage d'ondes radios.
Nous sommes que cinq, dire qu'avec Maxence nous avions un vrai grand réseau avec des bases, des cachettes, des munitions....C'est le Général Strauss-Kahn qui a tout détruit, en un claquement de doigts.

J'espère que tu es heureux Maxence, et que tu recevras ma prière par la pensée et par le cœur.

Dans ces cinq braves personnes qui m'ont rejoint, deux sont des Juifs cachés sous de fausses identités et les trois autres sont des italiens qui ont fui le fascisme de Mussolini.
Nous ne sommes pas nombreux du tout certes, mais nous avons une volonté de fer que même la torture des nazis ne pourra pas nous enlever.

《 Allez go go go !! On y va ! ai-je ordonné.
- Faire quoi ?
- Placer cette herse nom de Dieu ! 》

Nous avons couru, presque ramper au ras du goudron frais et brûlant.
En quelques minutes seulement, j'ai placé en étant aidé cet instrument sur le pont surplombant l'Orb, je l'ai positionné à l'endroit le plus fragile.

《 À quelle heure arrivent les fourgons ? demande un des Juifs.
- 11h57, répond l'italienne.
- Et il est ?
- 11h53. 》

Quatre petites minutes. C'est fou mais à chaque offensive, je suis toujours dans une espèce de trans que je n'arrive pas à calmer jusqu'à ce que je vois le résultat de mes indications.
J'entends le moteur gronder au loin, j'ai envoyé mes collègues dans des hauts buissons pour se cacher. J'ai couru les rejoindre pile au moment où les pneus se sont enfoncés dans les pointes aiguës de la herse.
J'ai observé le fourgon perdre le contrôle des pédales.

《 Fusil ! 》

C'est là que le juif polonais a tiré sans s'arrêter sur les deux soldats hurlant leur panique en allemand.
Un feu d'artifice a alors éclaté sur le pont, tombant dans des grosses pierres et des gravas volant dans les airs. Je suis restée impassible face à cette scène, impassible extérieurement mais paralysée, incapable de bouger face à ce spectacle.

《 Allez venez Mademoiselle on y va ! m'interpelle le juif polonais.
- Oui, oui bien sûr. 》

J'ai couru au milieu des fourets jusqu'à la voiture privée pour les offensives, j'ai regardé derrière moi à maintes reprises. Je veux voir s'il y a un survivant, et si c'était Hans dans cette voiture qui se décompose au fond de l'eau ?
J'ai grimpé à l'arrière, essayant de me canaliser, c'est bien la première fois que je réagis ainsi après avoir fait mon devoir de française. J'ai eu peur de savoir que le colonel Leyers soit dans ce fourgon.
Le juif polonais a commencé à rouler à toute allure sur les routes, n'osant pas regarder dans le rétroviseur.
J'entends déjà les sirènes des pompiers qui arrivent, mon estomac se serre. D'habitude, je sais à l'avance qui je vais mettre au tapis, mais là j'ai peut-être tué Hans sans même le savoir...

Programmés pour tuerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant