Le Vide ( Eve )

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23 octobre 1943, Saint Nazaire de Ladarez, Hérault, Languedoc-Roussillon, France.

Cela fait plus de trois mois, trois longs mois fades, sans aucun goût. Je pense sans cesse à mon grand-père, encore plus depuis que j'ai lu la lettre d'Hans, il est peut-être mort, malmené, battu, faible... Ces pensées me torturent l'esprit, l'ont fait pendant plus de trois mois.
J'ai passé ce long temps de repos, seule allongée sur mon lit aux soins du colonel Leyers qui m'apportait à manger. Je ne pouvais plus rien faire, pas un geste, je n'arrivais pas à prononcer une quelconque parole. Rien n'émanait de moi.

Aujourd'hui c'est terminé.
Je ne veux plus m'apitoyer.
Je ne veux plus pleurer, m'endormir le soir en vomissant de culpabilité...
Je ne veux plus rester sur le lit à mon grand-père, lisant ses livres à voix haute pour rassurer mes craintes. Je veux plus de tout ça.
Dorénavant, je vivrai, je vivrai pour mon grand-père, je vivrai en l'honneur de la Résistance et de ma famille restée en Angleterre. Je ne serai plus cette pauvre fille qui s'apitoye sur son sort alors que j'ai la chance de pouvoir encore respirer.

Encore allongée sur le lit de mon grand-père, j'ai tendu le bras pour attraper une feuille pliée en quatre. Qu'est-ce que cela peut bien être ? Avec hésitation, je l'ai ouverte et commencé à lire, ayant assez peur de ce que je pourrai y lire.

À ma petite Eve,

Ma mémoire me joue des tours, je ne me rappelle même plus quand est-ce que je t'ai écrit ceci pour être honnête. Je ne me souviens que du but.

Tu sais que tu es bien plus que ma petite fille Eve, tu es prolongement de tout mon corps, ma réincarnation qui a les mêmes valeurs que les miennes. Tu es ma plus grande fierté, te voir grandir et t'épanouir comme tu le fais me comble. Je me dis que toutes ces lectures, nos fous rires, mes leçons de morale n'ont pas servi à rien. Tu es parfaite, il suffit juste que tu arrives à t'ouvrir aux autres, pas aux allemands mais ouvre ton cœur ma chérie. Je sais comment tu passes ton temps, alors je suis aussi conscient qu'il faut que tu puisses avoir un confident pour te confier sur tes exploits. Fais confiance à ton instinct, tu es une française, sois en fière, porte ta nationalité avec honneur car c'est la seule chose que le pays se souviendra de toi quand tu seras pas loin de mourir comme moi.

Je t'écris dans un seul but, car je ne trouvais pas la force de te le dire en face, surtout pas en présence du Colonel Leyers.
Ce type là, cet allemand, je suis sûr d'une chose, et pour que ce soit un vieux de la vieille comme moi qui le dise ; c'est que crois moi c'est la vérité. Je l'ai mal jugé Eve. Ce n'est pas un Boche comme la majorité qu'il y a ici, je sens qu'il a quelque chose de spécial et de différent enfoui en lui. Je lui ai donné ma bénédiction pour t'aimer, je sais que tu seras surprise mais tu le mérites. J'ai beau être toujours cloué au lit comme un parasite, je n'ai pas raté une miette de ce qu'il se tramait entre vous.
J'ai tout suivi, vos premiers liens, premières discussions, les mots doux qu'il te susurre à l'oreille, vos premières ébauches...
Alors en tant que vieillard qui a eu sa propre expérience, je te donne ma bénédiction pour aller avec le Colonel Leyers. Cela se sent, il te donne bien plus que du désir, c'est autre chose de bien plus profond je le ressens. J'ai eu du mal à l'admettre mais si tu peux être heureuse avec lui, alors n'hésite pas et fonce. L'amour est une bénédiction dans le lieu où on vit.
Je t'aime fort.

Programmés pour tuerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant