6 juillet 1944, Mauthausen, Gusen, Haute Autriche, Allemagne.
La vie n'est jamais aussi belle qu'une fois qu'on sait qu'on va la perdre. L'espoir n'est jamais aussi précieux que lorsque l'on a plus rien à se raccrocher. L'amour n'est jamais aussi fort lorsque deux âmes liées par ce sentiment sont séparés, de force.
Être à Mauthausen, c'est mourir mentalement, sans totalement mourir, avoir cette petite part de volonté infime qui te force à te lever des dortoirs tous les matins, une force quasiment divine de respirer. Cet endroit il est vicieux, il te détruit, il t'épuise mentalement jusqu'à ce que ton âme ne soit plus que Néant. C'est là que tu meurs, tu meurs de fatigue, de maladie, du manque d'hygiène, mais la pire mort que ce camp puisse offrir, c'est la mort dans les escaliers.
Après avoir passé quelques années en tant que Colonel de la Gestapo, je suis bien renseigné sur cette construction. Ces marches en béton, elles ont été construites par des espagnols, les premiers a avoir été pris ici. Ils les ont construites de force, à coup de bâton, ils montaient sans s'arrêter, la démarche vacillante mais ils arrivaient en haut pour une minorité. Sauf que je pense que tout le monde aurait préféré mourir dans ces escaliers. Les gardes attendant les détenus au bout de ce trajet tumultueux, ils lâchaient leur berger allemand. Ces chiens là, ce ne sont pas les chiens mignons qu'on aime tous oh que non ! Ce sont de vilaines bêtes, entraînées pour tuer, nourries à la viande crue, dorlotées et récompensées une fois que ces clébards ont déchiquetés en lambeaux ces pauvres gens. Je ne souhaite à personne de mourir dans de telles conditions.
《Gehen schmutzig faul ! Komm da raus. ( Allez sales pourritures ! Sortez de là ) 》
Le kapo, Albert Chlemno, un juif polonais. Il fait partie de cette vermine qui a trahi son peuple pour se faire un nom. Un nom qui sombrera vite dans l'oubli, personne ne se souvient des chiens d'Hitler, ceux qui ont obéi comme des lâches par la peur de mourir. On ne se souvient que des chefs, bons ou mauvais, et de ceux qui se sont battus contre les chefs.
Je me suis levé avec les autres, sortant petit à petit sous le regard haineux du kapo, hurlant des flos d'injures en frappant au hasard. Je ne fais plus preuve d'une quelconque pitié, je dois me concentrer sur ma propre survie.En allant au lieu de rassemblement pour l'appel sous le soleil violent de l'été, tel un grand habitué, j'ai pensé à Maxence. Mon pauvre ami français... Je nous revois encore parmi les grandes queues après nous être faits attrapés, on nous avait bondés les yeux. Max m'avait pris la main, j'étais tellement rassuré. Il était avec moi jusqu'au bout, il ne m'a pas lâché. Le dernier souvenir que j'ai de lui c'est sa voix, ses gémissements de douleur face aux bergers allemands des nazis, parce quil n'a pas voulu me lâcher l'épaule. Je ne pouvais rien faire, à part prier pour qu'il garde encore sa foi en Dieu, sa foi en son amour pour Freya. J'espère qu'il va bien, peu importe là où il est.
Les kapos ont fait l'appel, et nous ont entassés les un contre les autres, appuyés sur le mur en brique de je ne sais quel bâtiment.《Mes chers prisonniers ! hurla un SS en allemand. Si vous êtes tous réunis ici, c'est parce que l'un de vous est un Résistant. Et qui dit être Résistant, dit mourir car vous êtes un traître à toutes les nations d'Europe ! Alors si personne ne se dénonce, vous irez tous dans la petite maison rouge aux beaux soins de nos Sonderkommandos, vous savez tous à quoi elle sert. Alors j'écoute !!! Qui est le Résistant, le Résistant allemand qui se cache parmi les Juifs ?! 》
Le cœur battant la chamade, j'ai observé autour de moi chacune de leur réaction, commençant à penser que c'est de moi qu'il s'agit. Je me suis senti perdre l'équilibre à mesure que les secondes passent. Personne ne dit rien. Mais si moi je disais quelque chose ? Qu'est-ce qu'il adviendrait de moi ? Je suis resté tétanisé quand le SS est passé dans les rangs, nous scrutant comme des vulgaires bêtes, attendant le moindre faux pas de chacun. Aucun détenu ne craque, mais je ne suis pas le seul Résistant allemand ici je le sens au fond de moi.
《BON PARFAIT ! s'écrie-t-il en passant à côté de moi. Si personne ne fait preuve d'honnêteté je vais le faire pour vous ! Vous allez vous séparer en deux groupes bien distincts, et la prochaine vous réflechirez Messieurs ! 》
Je me suis rangé sur le groupe à ma droite, ne sachant que faire d'autre. J'aurais aimé hurler, tous les égorger, leur cracher au visage mais je tiens encore à ma fierté. Je ne suis rien ici à Mauthausen. J'ai soupiré, je ne sais pas trop si c'est de soulagement ou de peur mais peut-être que ce chapitre de ma vie va se clôturer maintenant.
Un autre kapo est venu, fracassant les hommes et moi-même à coup de barre métallique nous ordonnons d'avancer vers la petite maison rouge au fond des baraques.Nous sommes entrés dans cette maison bien plus grande et élaborée que je le croyais. Mais la puanteur est infestée par la mort, le premier étage ressemble à un stockage de toutes les affaires entretenues par un petit groupe d'homme légèrement mieux entretenus que nous. Je me suis imprégné de cette chaleur morbide, la dernière source de chaleur à laquelle je goûterai, avant d'être envoyé au sous-sol dans les chambres à gaz, que je commence à respirer avec difficulté le poison Zyklon B, que j'arrête progressivement de lutter. Puis mon corps sera envoyé via des glissières jusqu'aux fours crématoires. Je connais par cœur le chemin des détenus jusqu'à la mort, même si je ne pensais pas être dans ce rôle là.
J'ai vu un Sonderkommando me faire un petit signe de main un peu plus loin. J'ai regardé que personne ne me remarque avant de le rejoindre, quelque peu perturbé par ce visage que je suis persuadé connaître.
Mon cœur s'est arrêté quelques secondes lorsque je me suis vu face à face avec cet individu. C'est Maxence là, droit devant moi, en chair et en os. Je l'ai regardé, d'un air totalement incrédule, arrivant à peine à respirer face à ce miracle.
Ses grands yeux noirs m'ont percé à vif sans que je ne prononce un mot, pareillement dans son cas. Nous nous sommes compris rien qu'avec le regard. J'ai su dans les yeux de Maxence, que même si je venais à mourir. Je mourai serein, en ayant été aimé.Petite photo des escaliers de la mort de Mauthausen.
Adolf et ses frères détenus à l'annonce de l'exécution collective.
L'entrée des chambres à gaz... sans sortie malheureusement...
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Programmés pour tuer
Ficção HistóricaDès ses 15 ans, Hans Leyers, jeune allemand des pauvres banlieues berlinoises s'engage dans la SS avec le général plénipotentiaire Strauss-Kahn, homme dur mais d'une justesse infaillible. Tout oppose les deux personnages, de la mentalité jusqu'au p...