Programmés pour tuer

Un an de plus ( Hans )

16 décembre 1943, Saint Nazaire de Ladarez, Hérault, Languedoc-Roussillon, France.

Cela fait plus d'une année complète que les troupes du général Strauss-Kahn ont passé les portes du village. J'étais qu'un gamin, en un an j'ai l'impression d'en avoir pris vingts. J'étais qu'un sous officier de pacotille, un enfant surexcité à l'idée de servir son pays avant qu'il voit en quoi ce beau pays a été transformé.
Je ne sais même pas ce que sont devenus mes frères et ma mère, peut-être sont-ils morts, déportés... Je n'ai jamais réussi à trouver des points positifs à notre Occupation en France, jusqu'à ce que je rencontre Eve. Cette femme m'a sauvé du chemin de noirceur que je m'apprêtais à prendre. Elle a ajouté bien plus que ce que je l'aurais cru.

Le fils de Marinus est depuis plusieurs semaines sur le Front de l'Est. Son père a d'ailleurs envoyé quatre de ses hommes le rejoindre, il a peur pour Nikolaus, je le sens. Le général Strauss-Kahn n'arrive pas à paraître neutre, je l'ai surpris quelques fois dans son bureau craquant la tête dans les bras, se rongeant les ongles de culpabilité.
J'aimerais vraiment pouvoir lui ramener son fils, qu'enfin ils puissent se retrouver pour de vrai. Sans règle, sans combat, sans angoisse, sans la guerre. Mais je ne peux rien faire, j'ai beau porter le titre de Colonel, je suis totalement impuissant.

Je suis allé m'entraîner dans une forêt, la même forêt vers le hameau de Douch. C'est Marinus qui me l'a fait découvrir je ne sais plus comment. Je sais simplement que c'est grâce à cet endroit que je me suis rapprochée d'Eve. Pino m'a accompagné, ce petit italien, fin, élégant et discret, ce garçon est devenu mon acolyte au fil du temps. Un véritable ami qui se font rares en ces temps si difficiles.
Il était plein de vie, souriant, léger et sans problème avant que sa partenaire Rose Galy se fasse déporter sous ordre de Marinus. Là... Pino est éteint, une partie de lui est morte en même temps que cette française.

Muni d'un fusil des plus développés du Grand Reich Allemand, placé à quelques mètres d'une grande plate-forme de pierre, j'ai explosé toutes les bouteilles une à une dans des détonations suraigues.

《 Hans ? Tu as tiré sur les bouteilles ?
- ça se voit non mon cher Pino !
- C'est vrai ça tu as un œil de rapace Colonel !
- Tu veux essayer ?
- Je ne toucherai jamais une arme Colonel.
- Pourquoi ça ? 》

Je l'ai vu longuement hésiter avant de parler, comme s'il craignait de se confier. J'ai posé l'arme à côté des cadavres de bouteilles, et d'un ton bien gentil, je l'ai incité à parler. Pino ne doit pas craindre de se confier à moi pour un motif ridicule que je suis son patron et qu'il n'est que mon chauffeur.

《 Mon père a servi l'armée pendant la Grande Guerre, comme pratiquement tous nos pères.
- Oui.
- Mais quand il est revenu... C'était totalement différent. Je pense qu'avec mon frère, ma sœur et ma mère, nous avions tous idéalisé son retour. Mon père, Enrique est rentré du Front fou, fou à liér. Il a commencé à taper ma mère et un jour, quand je suis revenu de mon service militaire... J'ai vu le corps de ma mère étalé dans son sang, un trou béant dans la poitrine. Elle a été tué d'un coup de Fusil par mon père.
- Je suis désolé Pino c'est atroce... 》

J'ai posé ma main sur son épaule penchée en avant, je ne savais rien de la vie de mon chauffeur. Je me suis toujours figuré que Pino Saviano est un gentil garçon de 18 ans, avec une vie simple et pimpante. Ce qu'il m'a raconté là dépasse les entendements de la raison humaine. Comment est-ce possible...

《 Allez Hans, je vais marcher un peu. Je te laisse t'entraîner.
- D'accord, si tu as un problème appelle moi. Crie fort. 》

Il a hoché la tête et a commencé à partir. Ce rital que j'ai eu du mal à accepter et tolérer est beaucoup plus fort que ce que je l'aurais imaginé.
Je suis resté installé sur mon rocher, respirant à pleins poumons l'air glacial, il me rappelle les vacances aux stations de ski en Bavière avec Adolf et Herman.