Chapitre 01

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Je m'incline près de Madeleine pour l'aider à se lever, sa faible main s'appuie doucement sur mon épaule. Je remarque qu'elle a de moins en moins de force dans le corps, elle devra probablement bientôt quitter son domicile pour rejoindre un établissement adapté. C'est toujours la même histoire... Je ressens une sincère peine pour ces pauvres personnes, n'ont-ils pas d'enfants ? Des personnes avec un tout petit peu de compassion dans leur entourage ? J'accompagne la vieille femme jusqu'à sa cuisine, et je l'a nourri à la cuillère, comme si c'était un nourrisson.

Le cycle de la vie est ironique. Nous sommes un bébé : l'humain au paroxysme de la dépendance. Ensuite, vient le stade où nous devenons des adultes indépendants, et on finit par revenir à notre état premier, le retour aux origines, à l'aurore de notre humanité. Après l'avoir couché, je prends place près du lit, sur un tabouret pour lui lire quelque chose. Madame Broussard est une fan d'Idylle : des courts poèmes plein d'amour, qui sont rarement réalistes. Ces textes lui rappellent des souvenirs, me dit-elle. Je finis par lui souhaiter une agréable nuit, et je quitte sa petite boîte de 16 mètres carrés.

Une fois sur le bord du palier, je ressens un froid étrange me frapper la face. Je glisse mes cheveux à l'arrière de mes oreilles en descendant les marches. J'ai l'impression de rejoindre des égouts, l'odeur de rat mort m'empêche de respirer. Je bloque mon souffle en continuant ma promenade au sein de ces nombreux étages. Je finis par apercevoir l'origine de cet effluve : un rat mort, au ventre lacéré. Sa plaie béante est complètement infestée d'insectes. Lesquels ? Je ne sais pas, je n'ai pas eu la curiosité et le courage d'observer cette horreur trop longuement. Les lumières d'un jaune froid clignotent et me donne l'impression d'être dans un film d'horreur. Des frissons parcourent mon échine dorsale tandis que j'inspire longuement, "je ne suis pas une peureuse", je murmure d'une voix à peine audible.

Arrivée au rez-de-chaussée, je constate qu'il y a une dizaine d'hommes : des dealers en train d'exercer. Ce n'est pas rassurant, mais je doute qu'ils puissent me faire un quelconque mal. C'est impressionnant comme ça, mais c'est juste des âmes perdus. Ils sont les mauvaises graines de la société que la rue a semé.

J'aime énormément Madeleine, mais son immeuble me donne régulièrement des sueurs froides. Ce n'est pas un environnement très sain. Je balaie du regard le parking, car je ne me souviens plus du lieu où j'ai garé ma Clio, encore une fois... Je longe les voitures en serrant mon manteau contre moi, le vent ne siffle pas, il me hurle aux oreilles, et ce n'est pas très agréable. Je me sens emportée par sa force, et saute presque de joie lorsque je distingue au loin mon véhicule. J'y grimpe sans ménager ma portière contre laquelle je balaye mes bottines en passant. La première chose que je fais : verrouiller les portes. Je ne suis pas une grande froussarde, mais ce soir, j'ai un mauvais pressentiment. C'est comme si le monde, comme si mon monde s'était transformé en tournage de thriller troublant. Une ambiance des films de Jordan Peele, avec l'esthétique de David Fincher dans les années 90. Mon observation de l'environnement percute mes sens de plein fouet, et éveille ma crainte. Tout me parait si différent de d'habitude, pourtant, c'est similaire. Les divergences sont moindres : la lumière clignote toujours, ce n'est pas le premier rat en décomposition que je surprends dans ces environs, les hommes en noir sont constamment ici, à tenir fidèlement les murs. Alors pourquoi est-ce si différent ?

Je passe la première et quitte ce quartier. J'appuie brutalement sur les boutons de la radio en espérant y faire sortir le moindre son, la moindre voix qui pourrait me rassurer. Rapidement, les rires des animateurs de radio éclatent et prennent le dessus sur les cris du vent. C'est comme s'il hurlait ce soir, comme s'il ordonnait aux habitants de la ville de se terrer chez eux. Et c'est exactement ce que j'ai l'intention de faire. Ma montre affiche 21h34 lorsque j'arrive chez moi. Je souffle en retirant mon écharpe, et je mets en marche la télévision, pour ne pas laisser les torrents du vent prendre le dessus sur moi.

Sa précieuse cibleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant