Chapitre 19

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Meriem reste bouche bée, ses yeux sont grands ouverts, complètement exorbités. Il faut croire que je suis autant choquée. "Tu... tu en as pas parlé à Nathan ?", je réponds que non. Elle m'interroge quant à mes intentions, je lui dis que je ne sais pas, c'est la raison pour laquelle je la consulte. J'ai besoin d'elle, et voilà ce que l'Algérienne me propose : "parle lui en, doucement, ne soit pas aussi directe que tu l'as été avec moi. Et s'il nie, demande lui de te le prouver, ou de t'expliquer sa version." Je balance mes jambes dans le vide, "il le prendra mal, pourquoi je croirais Anderson alors que je le suspecte d'être le malade qui nous traque ?", "tu n'auras jamais la conscience tranquille si tu n'es pas sûre à 100% que c'est faux. T'imagine... si Nathan est en réalité..." Je l'arrête en sautant sur mes pâtes, je quitte son lit pour tourner en rond dans la pièce : "arrête, tu vas pas t'y mettre toi aussi... Nathan ne... enfin soyons un peu sensées, il ne peut pas s'être kidnappé lui-même ! N'importe quoi ! Mon frère ne torture pas des gamines, il ne tue pas des femmes pour manger leur corps, c'est juste inimaginable. Certes, il a peut-être vu cette prostituée, mais le lien avec Orcus est beaucoup trop faible. Tous les gens qui fréquentent ces femmes ne sont pas des meurtriers : c'est un trop court raccourci." Meriem hausse les épaules : "je ne dis pas que c'est lui, seulement que tu devrais réfléchir à tout ça, et lui en parler pour en avoir le cœur net."

Je pose mes fesses sur le sol, parce que la défaite est difficile à accepter. Je me sens comme une sale traîtresse, je vais vraiment accuser mon frère ? Tout ça à cause d'un flic que je connais à peine, qui est probablement un gros malade, qui me hait et qui ferait tout pour me voir mordre la poussière ? Les jambes en tailleur, je regarde le sol. Les remords me rongent de l'intérieur, comme les vers se nourrissent des restes d'un rat mort. En l'occurence je suis ce rat, et je pourris à cause d'Anderson. Meriem s'assied près de moi, et me rassure comme elle le peut : "tu veux que je sois là ? Où alors tu préfères faire ça seule ?" Je soupire longuement, "je sais pas... je sais même pas comment je vais lui dire ça, mais on doit avoir cette discussion seul à seul. Merci." Elle répond positivement, compréhensive.

Je passe le reste de l'après-midi à enchaîner les prestations chez les usagers, les allers-retours m'épuisent, mais étonnamment je n'ai pas envie de terminer cette journée de travail. C'est bien la première fois que ça m'arrive... J'ai averti Nathan de ma visite qui est prévue dans la soirée. J'ai besoin d'en avoir le cœur net.

En attendant, je suis chez Madeleine. J'écoute attentivement l'épopée de sa jeunesse, en astiquant le sol. Elle évoque son enfance, ses amies, sa famille, les souvenirs de ses parents, frères et sœurs. La vieille femme me donne les détails de son indépendance, "j'étais belle, mais pas autant que vous évidemment", elle déclare les mains levées en ricanant. Puis vient le moment douloureux, la partie coupante de la rose : les épines. Madeleine a perdu sa mère il y a plusieurs années. Elle est la cadette de sa famille, et tous ses grands frères et sœurs sont décédés. Elle est la dernière survivante de la famille, la seule à ne pas avoir encore succombée au coup de la mort, ça m'attriste. Elle évoque toujours sa vie actuelle comme l'épilogue de son destin : la conclusion d'un grand bouquin, long et riche en amour. Cette comparaison me fait sourire : "ça serait quoi ? Le titre du livre de votre vie ?" Elle réfléchit, et je me pose aussi la question. Il m'est impossible de trouver le moindre mot qui définirait la mienne.

Madeleine tape des mains, aussi excitée qu'une gamine : "j'ai trouvé, écoutez bien : aurore d'une joie éternelle." Je hausse les sourcils, impressionnée, et pose mes deux mains sur ma taille : "waouh, c'est beau, mais éclairez moi sur la signification. Il y a beaucoup d'interprétation possible, pour l'instant, c'est du chinois", " j'ai utilisé le mot "aurore" parce que je pense que j'ai vécu que le début du bonheur éternel, le prélude, l'introduction de l'apogée. Vous comprenez ?" J'acquiesce, "c'est beau mais très triste quand même, vous voulez me faire pleurer ou quoi ?!", elle rit d'un air mesquin, tandis que j'aère la pièce pour faire sécher rapidement le parquet.

Sa précieuse cibleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant