Chapitre 42

17 2 9
                                    

-

Il m'est impossible d'avaler tout type de viande, poissons et œufs. Voilà 5 jours que j'ai vus mon frère au parloir, et rare sont les aliments qui peuvent traverser la barrière de ma gorge. Je vais devoir me goinfrer de légumes et de féculents jusqu'à ce que je puisse avaler de la viande sans la régurgiter. Mon sphincter est végétarien, il filtre et choisit laborieusement quel aliment peut traverser mon œsophage. De toute façon, même si mon corps le permettrait, je ne pourrais pas me nourrir de viande. J'essaie de ne pas penser au fait qu'il m'ait vraiment fait ça, je fais de mon mieux pour oublier. Mais à chaque fois que j'avale ma salive, cette image de viande humaine dans mon assiette m'étrangle et fait couler mes larmes jusqu'à l'agonie. En résumé, ces jours n'ont pas été vraiment faciles pour moi.

Assise la tête entre les mains, je fais très attention à ne pas abîmer mes cheveux, la pluie les a suffisamment bousillés comme ça. J'ai repris le travail, après ce long congé maladie et il a fallu que ce jour, précisément, soit plein à craquer de petits problème. Le genre de soucis qui, quand ils s'entassent rendent une journée invivable. La pluie a réduit en miettes le volume que j'ai mis 30 minutes à créer pour être jolie. Mon second collant préféré s'est déchiré, et je me suis cognée contre ma portière avant. Résultat des courses : je me suis coupée l'arcade sourcilière.

En attendant ma commande, j'utilise mon petit miroir en forme de tournesol pour pouvoir changer mon pansement. Ma paupière droite est tachée de sang, c'est immonde, je constate en scrutant mon reflet. Une serveuse très mignonne me ramène mon plateau avec ma commande, je la gratifie de mon plus beau sourire. Je croque à pleines dents dans mon repas, parce qu'il est 12h30, je n'ai pas mangé ce matin, et je suis réveillée depuis cinq heures. Un goût étrange remonte en moi, ma gorge se serre, mais c'est trop tard. J'ai déjà avalé, je n'ai plus qu'à foncer aux toilettes, en espérant arriver à temps.

Le compte à rebours est lancé, mes bottines claquent le sol. Je cours jusqu'au panneau indiquant les WC, la main contre la bouche en retenant le possible vomi qui pourrait s'en échapper. Mes affaires personnelles sont maintenant seules, à la vue de tous, et je pense que quelqu'un va me voler, c'est une évidence.

Je me baisse pour atteindre la cuvette et évacue la bouché que j'ai déglutis. Ce n'est pas du fromage de chèvre frit, mais des tenders. J'ai bien senti l'odeur du poulet, j'étais certaine que ce truc n'était pas du fromage. Je retiens difficilement mes cheveux d'une poignée, et je recrache mes tripes. Lorsque ça va un peu mieux, je m'aggripe aux parois de la cabine et j'entends une voix qui m'est très familière. C'est Alan Anderson. Il ne manquait plus que lui, à ce moment précis, pour faire de cette journée un véritable cauchemar. "Enra ? C'est vous ? Ouvrez-moi, je peux vous aider."

Je sors de la petite cabine, en essuyant ma bouche contre le dos de ma main. Je ne marche pas droit, mais je parviens tout de même à atteindre l'évier. Je fuis Anderson du regard, parce que je ne veux absolument pas me confronter à ce débile. Je rince ma bouche, puis lave mes mains, en admirant les dégâts désastreux de cette journée sur mon physique. Il a fallu que le flic tombe sur moi aujourd'hui...

"Ça va ?", j'acquiesce d'un bref mouvement de tête, et sors de la pièce pour rejoindre mon siège. Étrangement, mes affaires sont intactes, je m'installe, et repousse mon plateau. Alan m'a suivi, et il est désormais assis face à moi. "Pourquoi vous avez... ?", "ils m'ont mis du poulet, j'avais commandé un truc végétarien. Du coup j'ai gerbé", je dis en haussant les épaules. Il attrape mon plateau, et s'apprête à se lever, "je vais leur demander de recommencer, je...", j'attrape le bord du plateau en plastique "non, c'est bon. Je vais y aller, j'attends juste de... vous savez... reprendre mes esprits", je souris poliment, "vous avez suffisamment fait pour moi. Vous pouvez aller vous occuper de vos petites affaires, je vais bientôt y aller moi aussi."

Sa précieuse cibleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant