Chapitre 54

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Je remercie la femme puis avance timidement jusqu'à Anderson, à petit pas, la tête plongée vers mes pieds. Il m'indique le couloir de la main, "vas-y, tu connais le chemin."

Nous nous retrouvons dans son entre, et je ne peux m'empêcher d'analyser tous les éléments de son bureau. Je reconnais ce fameux siège, et je souris bêtement lorsque ma mémoire me joue des tours. Je m'assieds et jette mon dévolu sur la lampe en forme de champignon que je lui ai offerte, il n'y a pas une miette de poussière sur cet objet. Cela signifie t-il qu'il le mastique à chaque occasion ? Oui, c'est évident. Mais pour un roi de la propreté comme Anderson, ce geste ne donne pas forcèment plus d'importance et de signification à l'objet. Le concerné m'arrache de mes rêveries, "Enra ?", je lève le menton et nos yeux se rencontrent d'une agilité étrange. "Je t'ai préparé un thé." J'adresse un regard à la tasse qui se trouve sur le bureau. Je n'avais pas remarqué qu'il l'avait posé ici. Cette tasse est difforme, et ornée de fleurs indigo et mauve. "Merci." J'amène la tasse à ma bouche et avale quelques gorgées de la boisson chaude. "Euhm... Tu n'étais pas occupé ? Je me suis un peu invitée toute seule." Il n'a pas l'occasion de me répondre, car on frappe à la porte. "Entrez." Cette dernière s'incline légèrement, et un homme dont le visage m'est familier penche sa tête, c'est son collègue, Joshua.

Lorsqu'il remarque ma présence, il ouvre entièrement la porte et me pointe du doigt, interloqué par ce qu'il voit. "Enra ?! C'est bien ça, la copine à Alan ? Je me souviens de vous !", je souris doucement, mal à l'aise par la façon dont il me nomme. Je glisse mes mains contre mes cuisses, "non... c'est pas... c'est pas vraiment ça...", Alan prend la parole : "Joshua, qu'est-ce que vous voulez ?", "rien de spécial, je vous laisse tous les deux, à bientôt Mademoiselle." Il se faufile derrière la porte avec un air taquin, en la refermant au passage.

"Ça va ?" J'inspire profondément puis commence mon monologue, en triturant mes doigts, "tu veux savoir pourquoi je suis venu ici exactement ? Je dois te dire un truc, je ne suis pas sûre de devoir le faire. Je ne pense pas que ce soit vital, mais ça me semble important pour toi de le savoir." Mon débit de parole augmente au fur et à mesure, et mes mains gigotent dans l'air, "c'est vraiment pas grand-chose, ne t'attend à rien de fou... mais... j'ai le sentiment que tu dois être mis au courant. Personne d'autre que toi ne le sauras, et je ne veux pas que ça s'ébruite, ça leur ferait trop de mal... et c'est pas nécessaire. Je ne dis pas que toi ça ne te fera pas du mal hein, ni que c'est nécessaire de te faire du mal c'est... c'est... c'est euhm..." Il n'exprime rien, mais je sais reconnaitre l'impatience lorsque je la vois, même s'il semble vouloir la dissimuler. Tout le monde serait frustré à sa place. Je crache le morceau douloureusement : " le jour où je t'ai dit que j'avais eu mes règles, c'était faux, j'ai fait une fausse-couche."

Il cesse tout mouvement, je perçois à l'œil nue la rigidité soudaines de ses membres. Ses yeux se plantent sur moi. "Ne réagis pas s'il te plaît. Je veux que tu oublies ça pour l'instant. On... parlons d'autre chose maintenant." Il demeure calme, mais je suis persuadée qu'en son for intérieur le chaos règne. Il veut me poser un milliard de questions, me dire un nombre incalculable de paroles, d'excuses, même s'il n'y est pour rien. Or, aucun son ne s'échappe de ses lèvres.

Je saisis la tasse de thé et avale tout le liquide d'une traite, comme si c'était de l'alcool, d'une manière un peu trop mélodramatique. Je me lève doucement, comme si j'étais une enfant qui s'apprêtait à faire une bêtise en cachette de mes parents. "Je crois que je devrais partir...", il se penche mécaniquement vers moi, "non, restes." Je détends la prise de mes doigts sur mon sac, et pose celui-ci sur le bitume. Je me concentre et tente de trouver un sujet qui nous permettra de passer à autre chose. La pièce est minuscule, et je sens la tension entre lui et moi s'accroître sans vraiment avoir la capacité d'expliquer pourquoi. Et puis comme si ça ne suffisait pas, j'ai l'impression de respirer trop fort.

Sa précieuse cibleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant